Tout m'est cher de mon enfance (...)
Il m'est resté de cette époque une grande tâche de tendresse violente et douce, à chaque angle de mon coeur du rire en grelots, des ombres dans un léger brouillard. Ombres bienveillantes qui saviez le secret des passages les plus secrets de l'âme, la faiblesse des êtres vis-à-vis de la vie, qui avez vécu, comme si vous jouiez à l'existence, aux naissances, à la mort, à l'amour avec ironie, à la douleur avec patience, je vous ai gardées en moi précieuses et rares, telles les pièces d'une collection de bonheur. (p. 19)
Les jardins de mon enfance se réduisent à un seul (...) : celui où ma mère a joué, jardin de fruits d'or où notre passe-temps épousait des légendes, où nous courions après le mystère, où toute fleur avait son nom, sa carte d'identité, toute plante sa vie personnelle, une capacité de haine et d'amour; où tout se confond, se perd, où chaque saison apportait son parfum, ses jasmins, ses violettes, ses arbres nains et ses fruits défendus. (p. 17)
"Victoire cherchait l'absolu et cette recherche de l'absolu la distrayait des autres, développait en elle une sensibilité inquiète, provoquait sur ses lèvres un sourire absent, dans ses yeux des larmes gratuites, inutiles, et elle ne savait comment appeler ce sentiment du fini qui parfois la possédait, contre lequel elle ne pouvait rien, qui vivait de sa vie, la limitant souvent ou la projetant dans l'absurde, la harcelant sans relâche jusqu'à la chasser d'elle-même et la réduire à l'angoisse. (p. 28)
Marie, dis-moi, pourquoi y a-t-il des jours où je me sens liée à la terre par des liens très forts, où j'ai peur de mourir sans avoir nulle envie de vivre, où j'écoute en moi des voix indistinctes qui ne m'expliquent aucun problème et ne m'en posent aucun; où je ne suis ni un pur esprit, ni tout à fait un corps, où j'ai un avant-goût de l' éternité qu' elle donne et moins la joie, où je suis un tourment conscient de l'être et un espoir indéfini. Je voudrais tant de choses que je ne sais pas. (p.48)
J'aimerais l'homme qui aura des mains semblables au vent. (p.34)