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Citations sur Les Émigrants (24)

Le pêcheur apparaît dans l'encadrement de la porte et descend aussitôt avec nous le jardin en pente avec ses dahlias resplendissants, jusqu'à la Saale où nage dans l'eau une grande caisse de bois dans laquelle il prend les barbeaux un par un. Quand nous les mangeons le soir, nous n'avons pas le droit de parler, à cause des arêtes, et devons rester nous-mêmes muets comme des poissons. Je ne me suis jamais vraiment sentie à l'aise au cours de ces repas et les yeux chavirés des poissons m'ont souvent suivie du regard jusque dans mon sommeil.
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malgré l'affection qu'il continuait, tenait-il à préciser, de nourrir pour ses élèves, ceux-ci lui étaient apparus comme des créatures ne méritant que haine et mépris, à la vue desquelles il avait plus d'une fois senti monter en lui une violence sans bornes et irraisonnée.
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Vous savez, dans les années qui suivirent la destruction, la façon radicale de ces gens de se taire, de cacher et, comme il m’arrive de penser, d’oublier effectivement, n’est à vrai dire que l’envers d’une attitude qui a fait, par exemple, que le propriétaire du salon de thé de S., Schöferle, s’est adressé un jour à la mère de Paul, qui se prénommait Thekla et avait un temps fréquenté les planches du théâtre municipal de Nuremberg, pour lui dire que la présence journalière d’une dame mariée à un demi-juif pouvait être désagréable à sa clientèle bourgeoise et qu’il la priait, avec tous les égards qui lui était dus, cela va de soi, de bien vouloir dorénavant éviter de fréquenter son établissement. Je ne suis pas étonnée, dit Mme Landau, je ne suis absolument pas étonnée de constater que vous ayez pu ne rien savoir de toutes les bassesses et mesquineries auxquelles étaient confrontée une famille comme les Bereyter dans un trou aussi misérable que S. était alors (..) je n’en suis pas étonnée car, n’est-ce pas, cela s’inscrit dans la logique de toute cette histoire.
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[...] quand ils sont "à l'étranger", les émigrants, on le sait, ont tendance à se raccrocher à leurs proches.
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Le temps est un critère incertain, il n'indique rien d'autre que les fluctuations de l'âme.
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Elle commença par me dire qu'à l'âge de sept ans, après la mort de sa mère, elle avait quitté avec son père, historien de l'art, sa ville natale de Francfort. La petite villa qu'elle habitait près du lac avait été construite au tournant du siècle par un fabricant de chocolat désireux de s'y retirer sur ses vieux jours. Le père de Mme Landau en avait fait l'acquisition à l'été 1933 et y avait englouti la totalité de sa fortune, la contraignant, expliqua-t-elle, à passer toute son enfance et les années de guerre qui suivirent dans une maison dont les pièces étaient quasiment vides. Toutefois, vivre dans cette absence de meubles ne lui était pas apparu, bien que cela fût difficile à expliquer, comme un manque, mais bien plutôt comme une distinction ou un avantage qu'elle devait à une tournure heureuse des événements. Elle se souvenait très précisément, dit-elle, de son huitième anniversaire, où son père avait dressé sur la terrasse une petite table recouverte d'une nappe de papier blanc et où elle avait dîné avec Ernest, son nouveau camarade de classe, tandis que son père, en veste noire, une serviette sur le bras, avait joué les serveurs avec un étrange empressement. Entourée d'arbres légèrement habités par le vent, la maison vide aux fenêtres grandes ouvertes avait été pour elle le décor d'une scène féerique. Et quand tout le long du lac, jusqu'à Saint-Aubin et plus haut encore, des feux s'étaient allumés les uns après les autres, elle n'avait pas doute un seul instant que ce fût pour elle, exclusivement en honneur de son anniversaire. Ernest poursuivit-elle en lui dédiant un sourire franchissant des temps révolus, Ernest savait bien sûr pertinemment que ces feux de joie illuminant l'obscurité environnante n'étaient là que pour célébrer la fête nationale, mais il avait eu le tact suprême de ne pas ternir ma félicité en se lançant dans une quelconque explication.
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Plus tard je m’assis dans un café, entouré là encore par une population de vieilles gens, et étudiai le Saale-Zeitung de Kissingen. (..) Sous la rubrique « Nos disparitions », cet entrefilet : M. Michael Schultheis, maître boucher en retraite, est mort à Steinach à l’âge de quatre-vingts ans. Personnage très apprécié, il était resté très lié au club des fumeurs « Nuage bleu » et à l’Association des anciens compagnons réservistes. Il consacrait la majeure partie de ses loisirs à son fidèle chien Prinz. – Songeant à la vision de l’histoire singulièrement biscornue que trahissaient de telles annonces, je me rendis à l’hôtel de ville où, après un assez long jeu de piste (..) je finis par tomber, dans un bureau relégué au fin fond d’un couloir, sur un fonctionnaire timoré qui, après m’avoir écouté d’un air un peu hébété, m’indiqua l’emplacement de l’ancienne synagogue puis l’endroit où se trouvait le cimetière juif. Remplaçant l’ancienne maison de prière, ce qu’on appelait la nouvelle synagogue, une massive construction de style mi-altdeutsch, mi-byzantin datant du tournant du siècle, avait été saccagée lors de la nuit de Cristal, avant qu’on s’emploie durant plusieurs semaines à la raser entièrement. À sa place, dans la Maxstrasse, juste en face de l’accès des véhicules sur l’arrière de l’hôtel de ville, se trouve aujourd’hui l’Office du travail. Quant au cimetière juif, le fonctionnaire me remit, après avoir quelque peu cherché dans un coffre ad hoc suspendu au mur, deux clés dûment étiquetées, en me donnant cette explication pour le moins étrange que pour parvenir au cimetière juif il fallait, à partir de l’hôtel de ville, marcher mille pas vers le sud, en ligne droite, jusqu’au bout de la Bergmannstrasse. Lorsque je fus arrivé devant la grille, il s’avéra qu’aucune des deux clés n’entrait dans la serrure.
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Le souvenir, ajoutait-il dans un post-scriptum, m'apparaît souvent comme une forme de bêtise. On a la tête lourde, on est pris de vertige, comme si le regard ne se portait pas en arrière pour s'enfoncer dans les couloirs du temps révolu, mais plongeait vers la terre du haut d'une de ces tours qui se perdent dans le ciel.
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Derrière un cadre de métier à tisser vertical sont assises trois jeunes femmes de peut-être vingt ans. Le tapis qu'elles nouent a un motif géométrique irrégulier qui jusque dans ses couleurs me rappelle celui de notre canapé à la maison. Qui sont ces jeunes femmes? Je ne sais. A cause du contre-jour qui tombe de la fenêtre à l'arrière-plan, je ne peux voir exactement leurs yeux, mais je sens qu'elles regardent dans ma direction, car je suis à l'endroit où se tenait Genewein le comptable avec son appareil photo.
La jeune femme du milieu a des cheveux blond clair et un faux air de jeune mariée. La filandière à sa gauche tient sa tête légèrement penchée sur le côté tandis que celle de droite fixe sur moi un regard si impitoyable que je ne saurais le soutenir longtemps. Je me demande quels pouvaient être leurs noms - Roza, Lusia et Lea, à moins que ce ne soit Nona, Decuma et Morta, les filles de la Nuit et leurs attributs, le fuseau, le fil et les ciseaux.
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Je me souviens maintenant, dit Ferber, que l’oncle Leo, qui avait professé le latin et le grec au lycée de Wurtzbourg jusqu’à ce qu’il fût exclu de l’enseignement, avait mis sous les yeux de mon père un article datant de 1933, reproduisant une photographie de la Residenzplatz de Wurtzbourg et du bûcher sur lequel on avait brûlé les livres. L’oncle avait qualifié cette photographie de falsification. L’autodafé, disait-il, avait eu lieu dans la soirée du 10 mai, dans la soirée du 10 mai, répéta-t-il plusieurs fois, et comme, en raison de l’obscurité régnant en cette heure tardive, il était impossible d’avoir fait une photo utilisable, on ne s’était pas compliqué la vie, affirmait-il, on avait pris le cliché d’un quelconque rassemblement devant la Résidence, on avait rajouté un volumineux panache de fumée et un ciel nocturne d’un noir d’encre. Aussi le document photographique publié dans le journal était-il un faux. Et de même que ce document est un faux, dit l’oncle, comme si la découverte qu’il avait faite constituait la preuve décisive, tout depuis le début n’a été que falsification. Mais mon père s’était contenté, soit qu’il fût atterré, soit qu’il ne voulût pas souscrire au jugement à l’emporte-pièce de l’oncle Leo, de hocher la tête sans rien dire. A moi aussi, cette histoire de Wurtzbourg dont Ferber disait qu’il venait de se la remémorer à présent pour la première fois, à moi aussi cette histoire était apparue au premier abord plutôt invraisemblable, mais depuis j’ai pu retrouver dans des archives de la ville la photographie en question, et comme on peut le constater aisément, il ne fait aucun doute que le soupçon exprimé par l’oncle de Ferber était justifié.
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