Le conte de la brodeuse

- Qu'est-ce qu'on sait d'autre ?
- Parmi les faits avérés ou les ouï-dire ?
- Les deux. Après tout, si l'on exclut les ouï-dire, il ne reste pas grand-chose.
J'éclatai de rire et tapotai Bertram dans le dos.
- Timothy Plummer sera fier de toi, un jour. Le cynisme est bien plus précieux pour un enquêteur que l'enthousiasme candide.
Bertram parut ravi de cette louange inattendue

- Vous faites partie de la suite de la duchesse Marguerite ?
- Je suis un de ses palefreniers, et elle aime monter avant le déjeuner quand le temps le permet.
Pensais-tu que la suite entière logeait au château de Baynard ? Elle n'y tiendrait pas !
Nous sommes plus d'un millier, et ma maîtresse s'imagine voyager avec le moins de confort possible.

Cette femme-là ne montrait guère de patience devant l'affliction. Quoi que la vie lui réservât, elle surmontait le choc et s'attendait à ce que les autres en fissent autant, sans songer que tout le monde n'est pas capable d'un tel stoïcisme.

Le palais de Westminster (...) était un tourbillon de bruit et de lumière. Chaque torchère, chaque chandelle, chaque flambeau était allumé.
Les serviteurs couraient en tout sens, trébuchant et butant les uns contre les autres, criant, lançant ordres et contrordres au milieu d'un lourd fumet de viande rôtie.
Dieu sait combien de cygnes, de paons, de chapons, de vaches, de moutons et de porcs avaient été abattus pour ce festin ! Si les ambassadeurs et les courtisans de Bourgogne n'étaient pas impressionnés par un tel déploiement de fastes, alors rien ne saurait jamais les émouvoir.

- Il avait trente et un ans, à l'époque, et son atelier de Needlers Lane commençait à prospérer.
C'était un beau parti. Et un brodeur de talent.

Lydia se retourna sur son fauteuil et montra les tentures.
- Il les a fait confectionner pour moi, et il a brodé un panneau de ses propres mains, déclara-t-elle, semblant considérer cela comme un honneur.
Des roses et des lis.
Le lis symbolise la pureté ; il est l'emblème de la Vierge.

Et aussi un ancien symbole de fertilité, ce que je m'abstins de préciser.

La femme qui se leva pour nous accueillir était d'une beauté sculpturale ; ses pommettes hautes et ses yeux en amande, d'un brun intense et brillant, lui donnaient un air mystérieux, comme si elle venait d'une contrée lointaine.
Son teint, en revanche, était de lait. Le blanc de céruse avait été appliqué avec tant d'habileté que l'on n'eût jamais cru, au premier abord, que cette délicatesse était due à l'artifice et non à la nature.
Elle était vêtue avec une simplicité coûteuse d'une robe en soie verte montant haut sur la gorge - touche de pudeur qui eût été plus convaincante si elle n'avait souligné des seins magnifiques.
Son hennin, drapé d'un voile de gaze blanche, était de ces modèles courts qui, à l'époque, venaient à peine de remplacer ceux en clocher. Elle portait une ceinture de cuir vert sombre, sans autres ornements que des ferrets d'argent et une croix en jade au bout d'une chaîne, elle aussi d'argent. L'effet était saisissant

Parler est la seule façon de découvrir ce que pensent les gens. Or leurs pensées influencent leur comportement.
Observer leur façon d'agir mène parfois à la vérité.

Il était plus de midi et une belle journée s'annonçait.
Des rubans de soleil or et rose dispersaient les nuages. Les oiseaux gazouillaient dans les arbres et les buissons, au-dessus des murs du jardin, et les toiles d'araignée tremblaient sous une myriade de gouttes scintillantes.
Tout se dessinait avec acuité ; le soleil, haut dans le ciel, brillait comme une pièce neuve.
J'aspirai l'air clair et pur à pleins poumons, avec bonheur.

C'étaient donc les servantes auxquelles Godfrey avait fait référence, l'une petite et maigrichonne, l'autre belle plante, et qui semblait de taille à manger un homme chaque jour au déjeuner.
Mais, comme c'est souvent le cas, les apparences étaient trompeuses :
c'était elle la timide, la discrète qui jouait avec sa nourriture et laissait son assiette à demi pleine ; en revanche, la maigrelette avait englouti deux écuelles de l'excellent ragoût de mouton avant que William Morgan daigne enfin obéir à l'appel de la gouvernante.

Je ne connaissais point la broderie, mais point n'en était besoin pour comprendre que ce commerce prospérait. Au premier coup d'œil, on avait l'impression qu'une bonne dizaine de personnes se concentraient sur leur besogne. Tout le long d'un mur, d'immenses panneaux en fils de soie étaient tendus sur des cadres de bois. Deux hommes en tablier blanc y passaient rapidement l'aiguille en une sorte de point croisé, qui peu à peu dessinait des motifs de fleurs, d'oiseaux et de mammifères. Quelquefois, l'un ou l'autre se référait à une grille de couleurs dessinée sur un bout de parchemin, cloué sur le montant entre les cadres. Mais la plupart du temps, ils n'avaient pas besoin de modèle et semblaient savoir d'instinct ce qu'il convenait de faire.

Trois femmes travaillaient sur un cadre horizontal juste en face de moi. Elles étendaient des brins de fil bleu et or en travers d'une pièce de soie cramoisie, puis les fixaient à petits points afin de former une masse de couleur. Ce procédé, comme je l'apprendrais par la suite, s'appelle le "couchage". Deux jeunes femmes étaient initiées à l'art de l'appliqué par une matrone (...) tandis qu'une autre, d'âge mûr, cousait de petites perles de verre à facettes au centre de médaillons en velours brodé qui, à leur tour, étaient fixés aux manches d'une dalmatique en soie vert sombre.
Sur un long tréteau à ma gauche, de très jeunes filles s'affairaient à broder des articles aux dimensions plus modestes, tels que des aumônières, des ceintures ecclésiastiques et des rubans. On eût dit un essaim, une véritable ruche.