La folle histoire

La question de l'allaitement fut à peine évoquée. Considérant la dose de neuroleptiques que Maman absorbait, son lait contenait assez de substances nocives pour tuer un éléphanteau. Alors deux kilos trois...

Je sentis alors la pression d'une main sur mon épaule, une main ferme et déterminée. Mon père se tenait debout derrière moi. Sa seule présence dissipa toutes mes craintes. j'avais si longtemps rêvé de cet instant. Je redevenais un garçon comme les autres. Que pouvait-il arriver à un fils, lorsque son père se tenait, debout à son côté, face au malheur ?

Son coeur, elle ne l'avait plus entendu battre depuis ce jour où elle avait rencontré un homme, à l'époque où elle était jeune, l'homme qui l'avait séduite et auquel elle resterait fidèle, même si elle ne se rappelait plus son nom, si elle avait oublié jusqu'à son visage. Une attaque cardiaque ! Mais depuis bien longtemps son coeur était brisé ! Non, elle avait attrapé l'oedème en sortant un jour d'orage, voilà tout. La pluie avait traversé sa peau, s'était nichée au fond de sa poitrine. On ne voulait jamais la croire.

Peu m'importaient ces visions de cauchemar. La réalité était en train de m'échapper. Je devais fuir plus vite qu'elle.

Le chagrin des autres me plongeait toujours dans une tristesse abyssale. Je devais tenir ça de ma mère. Chez nous, la mélancolie était un état terriblement contagieux.

Je sortais de ces séances toujours plus abîmé de l'intérieur, convaincu de mes torts, fautif de mon sort, haïssant plus encore ma propre personne que le monde alentour? Replongeant dans le lac noir de mon passé, j'en déchaînais les flots qui, à leur tour, m'engloutissaient.

- On sent que le poids du passé vous pèse, Ben, conclut-il avec regret.
- L'histoire familiale peut-être.
- Je peux comprendre.
Non, personne ne pouvait comprendre.

Je n'étais pas apte au plaisir, fût-ce accompagné de la personne que j'aimais.? Il parait que le bonheur est dans les gènes.

Le lendemain se rejoua hélas le même mélodrame. Les faveurs de Juliette restaient comme orphelines.
- Mais enfin, c'est stupide, s'emporta-t-elle, des dizaines d'hommes vendraient père et mère pour coucher avec moi !
Etait-ce une chose à dire à un garçon comme moi ?

- VOus ne parlez jamais de votre soeur, Juliette ?
- Je n'aime pas parler des gens que j'aime.