C'est l'histoire d'une famille les Kotev, dont les membres sont médecins de générations en générations, comme un flambeau qu'ils se transmettent et que l'on va suivre au gré des expulsions et persécutions dont ils sont tour à tour victimes car ils sont juifs.
On rencontre d'abord Pavel Alexandrovitch, médecin de campagne en 1905 en Russie tsariste, dans un petit village, Ludichev, qui fait ses visites à cheval, et dont le diagnostic est sûr et reconnu par ses pairs. Il est marié, a plusieurs enfants. Peu à peu les Juifs sont parqués et n'ont le droit d'exercer que dans « leurs villages » et doivent rester entre eux car l'antisémitisme gronde et les pogroms se multiplient. Dans un village voisin, toute la population a été exécutée, le feu mis aux maisons. Donc
la peur règne chez Pavel qui décide de mettre son fils aîné Mendel à l'abri en l'envoyant en Allemagne, où règne alors la tolérance puisque c'est la république de Weimar.
On va rencontrer ainsi les membres de la dynastie, Mendel à Berlin, professeur dans les années 20, puis son fils Tobias qui devra s'exiler à son tour quand viendra l'ère de 3e Reich et la petite dernière Léna à Paris.
Ce que j'en pense :
J'aime beaucoup cet auteur que j'ai découvert avec « Les derniers jours de
Stefan Zweig » (la BD coécrite avec
Guillaume Sorel) et surtout, «
le cas Eduard Einstein » l'an passé. Donc, impossible de ne pas lire celui-ci, impensable même.
Les chapitres alternent l'histoire de Léna, en 2015, à Paris, dans sa vie de tous les jours, avec ses hésitations, ses incertitudes, et l'année 1905 avec Pavel puis va et vient entre 2015 et 1920, puis 1933 et 1943. On s'attache à chacun des membres de cette famille, dont on aimerait finalement bien faire partie tant l'amour qui les unit fait résonner quelque chose en nous. On apprend aussi que le dernier enfant de Pavel a échappé au pogrom et a été adopté, il s'agit de Natalia que l'on suivra dans ce qui deviendra l'URSS et le complot des blouses blanches.
L'auteur décrit sans pathos, l'histoire de cette famille qui a la médecine chevillée au corps : sacerdoce, vocation, sont des termes qui n'ont plus la même valeur, ni la même résonance de nos jours. Laurent Seksik raconte une consultation durant laquelle le médecin chef se fait les dents sur les jeunes étudiants, jamais très loin de la maltraitance : cela m'a rappelé des souvenirs, quatre mois de stage d'externe avec un médecin-chef du même genre qui choisissait à chaque stage sa tête de turc, de préférence une femme et l'humiliait le plus possible, évidemment, vous l'aurez compris la tête de turc, ce quadrimestre-là, ce fut moi. Et le souvenir est toujours aussi aigu.
Léna (donc Laurent Seksik) évoque la nécessité qu'il y aurait à introduire une discipline : l'empathie dans ces études où la sélection se fait sur les matières scientifiques, je dirais pour ma part « Humanisme » comme on disait autrefois « faire ses humanités ».
Ils ont tous consacré leur vie à la Médecine, et on voit bien l'évolution avec le parcours de Léna, la dernière de la lignée, qui est cancérologue, soulage la douleur, s'applique à annoncer le diagnostic (cancer, ce mot qui fait si peur…), s'applique aussi à réconforter le patient et la famille. Elle a gardé ce respect pour l'autre, hérité de Pavel, de Mendel, son père, Tobias, ayant dû choisir une autre voie car son destin lui a fait croiser la route de deux SS, illuminés, sadiques lors de la nuit où tous les livres juifs ont été brûlés… gigantesque autodafé où toute la haine va se déverser, attisée par les discours de propagande et la puissance des flammes dont on connaît le pouvoir sur les pyromanes…
Ils ont aussi tous la foi, la religion chevillée au corps même s'ils ne pratiquent pas au quotidien, les traditions sont là, le courage aussi.
On retrouve la notion de destin, de l'exil qui se répète génération après génération et que peut-on faire quand ceci se répète d'un pays à un autre, d'une époque à une autre. Y-a-t-il une fatalité, une loi de causalité contre lesquelles on ne peut rien ou peut-on prendre son destin en mains. Est-ce que cette notion de destin (qui peut évoquer la fatalité voire le fatalisme, est en relation avec la religion ou avec l'âme slave ? («
Vie et destin » écrivait
Vassili Grossman).
Qu'est-ce qui dépend de nous, qu'est-ce qui est imputable aux autres ? A-t-on la possibilité de modifier ce destin ? Ce livre soulève des interrogations, ne pousse dans nos retranchements, et ce qui est là, immuable, c'est l'amour qui unit les être des cette famille qui en dépit des horreurs arrivent à se raccrocher à la vie, aux petits bonheurs, les repas ensemble, les lectures…
Bref, j'ai adoré ce livre. Il est dur, car l'histoire de cette famille est enracinée dans l'histoire de l'antisémitisme, et aussi celle de la Médecine. Tout au long du livre, la pudeur est présente, l'auteur n'en fait jamais trop, il reste à sa place d'écrivain, de conteur sans juger. Ce livre remue, fait réfléchir je l'ai déjà dit, sur ces époques y compris la notre, car avons-nous tiré les leçons du passé ? Et une fin superbe…
Je fais partie du club de « Seksikophiles » et j'ai le livre "Les derniers jours de
Stefan Zweig" qui m'attend sur une étagère de la bibliothèque et entre parenthèse j'aurais bien aimé voir la pièce de théâtre qui en a été tirée…
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