Citations sur Ingrédients pour une vie de passions formidables (17)
Je crois définitivement que je suis chilien au milieu des miens, avec les trente-trois mineurs du désert d'Atacama qui n'ont pas perdu leur humour, enterrés sous des tonnes de roches, à plus de sept cents mètres de profondeur et pendant soixante-dix jours. Je suis chilien, à Isla Negra, au crépuscule devant la maison de Pablo Neruda. Je suis chilien quand je navigue sur les canaux australs et que les pêcheurs m'invitent à partager leur vin râpeux. Je suis chilien en Patagonie en déployant le drapeau qui réclame une Patagonie sans barrage. Je suis chilien dans les forums sociaux, au milieu des jeunes qui croient fermement qu'un autre Chili est possible. Je suis définitivement chilien au milieu des miens, les survivants, qui avons été aux côtés d'Allende et, malgré le prix payé, serions prêts à recommencer.
Ensuite, nous nous sommes dirigés vers le mausolée de la mémoire où reposent les corps des hommes et des femmes assassinés par la dictature que nous avons réussi à retrouver et à identifier malgré le mensonge et les tentatives pour les faire oublier. L'année dernière, nous y avons transporté les dépouilles de trois camarades du GAP. Le plus important de ces restes était un fragment de bassin et ne pesait pas plus de vingt grammes, les autres, à peine des éclats d'os, mais ils contenaient l'identité génétique qui a permis de savoir qu'il s'agissait bien d'eux et maintenant ils reposent pour toujours auprès des centaines de victimes des forces armées chiliennes. Parmi eux se trouve Oscar Lagos, le jeune socialiste cher à mon cœur qui m'a remplacé dans l'escorte du camarade président ; capturé à la Moneda le 11 septembre, il est mort sous la torture. Il avait vingt et un ans.
Dans un coin de Bergen-Belsen, près des fours crématoires, quelqu'un, je ne sais qui ni quand, a écrit des mots qui sont la pierre angulaire de mon moi d'écrivain, l'origine de tout ce que j'écris. Ces mots disaient, disent et diront tant qu'existeront ceux qui s'obstinent à bafouer la mémoire : « J'étais ici et personne ne racontera mon histoire. »
Je me suis agenouillé devant ces mots et j'ai juré à celui ou celle qui les avait écrits que je raconterais son histoire, que je lui donnerais ma voix pour que son silence ne soit plus une lourde pierre tombale, celle du plus infâme des oublis. Voilà pourquoi j'écris.
D'une part, les gouvernements ont fait peser le poids de la crise sur les citoyens en amputant les prestations sociales et en faisant du travail une sorte de condamnation à perpétuité. D'autre part, on a vu fleurir des réponses inspirées par la xénophobie la plus obtuse, le racisme, la manie simple et grossière de rendre l'autre, le différent, responsable de tous les problèmes liés à la crise provoquée par les banquiers, les riches, les marchés. A un problème aussi complexe que celui d'un système économique basé sur la spéculation, l'extrême droite européenne a répondu par des incitations à la haine, à l'intolérance, à l'élimination de ceux qui sont différents ; c'était précisément l'objet de la réunion des jeunes Norvégiens assassinés à Utoya.
(dans "Horreur et impuissance")
Les chiens sont de nobles amis qui soudain s'en vont. Ils entrent dans nos vies avec leur joie à quatre pattes et deviennent des compagnons avec lesquels nous tissons des liens dans la solitude d'une rue, le jardin ou les promenades sur la plage. Sans dire un mot, nous parlons avec eux et ils nous parlent dans la langue pure d'un regard ; une caresse, un geste leur suffisent pour être nos plus fidèles confidents. Leur tristesse est réelle quand ils nous voient partir et leur joie sincère quand nous revenons.
(dans "Laïka")
C'est un devoir pour les êtres humains d'éviter la souffrance à ceux que nous aimons.
(dans "Laïka")
Nous laissons les années vieillir avec nous sans la moindre rancœur et plus rien ne nous surprend plus.
(dans "La clef du ciel")
[...] on sait bien comment les propriétaires de bordels et de casinos règlent les problèmes avec leurs employés. Les romans noirs, le cinéma et les archives judiciaires sont remplis de leçons sur ce sujet. Évidemment, briser les jambes ou la colonne vertébrale de ceux qui perdent la confiance du Parrain est plus rapide qu'une lettre de licenciement.
(dans "Eurovegas, un mégabordel")
[...] la valeur que je donne aux mots m'a appris qu'ils ont un sens profond du respect humain et souffrent quand on les utilise mal.
(dans "Narrer...résister")
au fil du temps, l'amour des mots m'est apparu comme un amour fidèle qui ne me trahirait jamais.
(dans "Un doute et une certitude")