Dialogue d'été

– Y a-t-il certains de ces personnages que tu préfères aux autres?
– Non, dans mon cœur ils sont tous exactement à la même place. Et d’ailleurs, il s’agit peu de «cœur». Encore une fois, je n’ai pour eux et ils n’ont pour moi aucune affection particulière. Nous n’avons pas de sentiments les uns pour les autres, nous sommes dans l’action. Imagine un petit lot de gens qui pour une raison ou une autre se retrouveraient seuls sur la terre avec pour seul désir celui de vivre. Ce que nous avons en commun et qui nous rassemble, c’est d’être dans la même situation avec la même intention. Notre alliance est indéfectible, muette, tacite, fondée sur une espèce de tristesse que je ne m’explique pas bien.

- Elle ne l'aime plus ?
- Si, mais elle se rend compte que vivre avec quelqu'un ne lui a jamais convenu. Elle l'aime bien, elle veut bien qu'il l'aime et qu'il soit son mari, mais elle veut vivre seule.

- Et qu'il lui rende visite.
- Voilà. Ou bien qu'ils se retrouvent parfois ailleurs, qu'ils poursuivent ailleurs leur vie et leur amour, qu'ils adoptent une nouvelle manière de vivre et de s'aimer.

- Ensemble tout le temps c'est impossible.
- Oh oui, ensemble tout le temps c'est absolument impossible. Elle a besoin de respirer, de déplier ses membres, de ne pas parler. Elle a besoin d'attendre aussi. Et s'il est là tout le temps, tous les soirs ou à peu près, elle n'a plus rien à attendre.

- Mais ce n'est pas drôle pour un homme de vivre ainsi.
- Non c'est une situation très nouvelle. Les femmes ne veulent plus vivre à plein temps avec les hommes, alors qu'eux le souhaitent encore.

- Ils souffrent donc.
- Ils sont désorientés.

- Il en reste bien quelques-unes qui...
- Quelques-unes, pas tant que cela, et juste le temps d'avoir des enfants. après, elles veulent pouvoir étendre leurs membres, ne pas parler, et attendre.

- S'ils se faisaient facilement à cette idée, elles seraient peut-être bien embêtées.
- Sûrement. elles feraient alors des tentatives pour les récupérer, et puis sitôt récupérées elles recommenceraient. Les femmes craignent beaucoup l'ennui ; il leur faut de l'intensité et même celle du drame pour se sentir exister.

- Mais alors, tu pourrais te passer d'amour ?
- Eh bien non. il se trouve, à mon étonnement, que je n'ai jamais pu m'en passer. Tout en moi demande à être seule, et une force bien aussi grande demande à être, non pas en compagnie, mais en dialogue intime, intense, suivi, ininterrompu avec un homme aimé. C'est ainsi depuis mes trente ans, depuis que j'ai quitté ma jeunesse et suis passée de l'autre côté, du côté où 'on oeuvre après avoir tout recueilli.