Ce que je sais du monde ne sera jamais connu que de moi. Chacun garde en lui sa vision, en grande partie incommunicable.
Chaque humain dans ma vie est un mystère, même mes intimes. Ça m'évite de m'ennuyer.
Je ne sais rien, mais j'en sais assez pour vivre. Ça me garantit de rester modeste et toujours curieux.
Le ciel est vide. Je ne peux m'accrocher à rien de certain. Pour rester en équilibre, je dois vivre en mouvement.
Je dois tout aux autres. Ils m'ont fait naître et ma vie dépend d'eux chaque jour. L'individualisme est un fantasme d'adolescence.
N'être qu'un brin de de l'immense cordée humaine me remet à ma juste place, mais aussi me rassure. Je suis seul, mais en compagnie.
Chercher le sens de la vie est vain. Être vivant suffit à donner sens et valeur à chaque journée.
La vérité ne peut être que relative. L'absolu n'est accessible qu'aux croyants. Et je m'en méfie.
Progresser en humilité est ma source imprévue de force.
Vie et mort sont indissociables. Me savoir mortel fait de chaque minute une chance.
Chaque fois que je crois savoir, méfiance ! Il ne s'agit souvent que d'une approximation, d'une opinion, bref de ma subjectivité. D'où une source intarissable d'incompréhensions, de malentendus et de déceptions, du seul fait que les interprétations d'autrui ne sont pas identiques aux miennes.
Chercher le sens de la vie est vain. Être vivant suffit à donner sens et valeur à chaque journée.
Enfin, reconnaître l'étendue de mon ignorance n"est il pas une forme de progrès dans la connaissance de moi même? En sachant que j'ignore, je suis plus solide qu'en ignorant sans m'en douter. Ne serait-ce qu'en m’évitant de cumuler ignorance et inconscience.
En parodiant Rilke, on pourrait dire : ne pensez votre vie que si vous ne pouvez pas faire autrement. Sinon, vivez, que diable! Et mourez ensuite.
Pour ma part, c'est là que ça coince. L'idée de mourir sans m’être demandé ce que vivre veut dire me semblerait presque inconvenante. La perspective que la symphonie reste inachevée, par inadvertance , que je puisse quitter la scène en laissant les tiroirs en fouillis me met mal à l'aise. Il m'arrive même de penser que ça serait de l'ingratitude, que j'aurais gâché une chance unique d'essayer de donner une réponse à la question ultime. Pourquoi aurais-je vécu?
L’appétit de connaissance est, en principe, illimité, mais vu la capacité d'absorption et le temps que ça me demanderait, je me résigne ponctuellement à opter pour l’ignorance.
Cet effort même rend ma vie plus intéressante. Que l'autre vive dans un monde qui lui est propre en fait à la fois sa complexité et sa richesse. Entrer en relation avec quiconque fait de moi un explorateur.
Une relation féconde se nourrit à la fois de nos dissemblances, grâce auxquelles l'autre nous complète, et de nos ressemblances qui rendent tentants les rapprochements.