Nous croyons occuper la Gaule mais c'est elle qui nous tient. Nous puisons dans ses richesses mais donnons plus que nous ne recevons. Nous nous croyons les maîtres, mais qui domine quand c'est le maître qui a besoin de l'esclave ? Nous avons vu ces Gaulois comme des barbares ignares, divisés et vaincus, alors qu'ils sont fiers et patients, et qu'ils ne nous laissent les occuper que parce qu'ils ont un profit à en tirer. Ils suceront jusqu'à nos entrailles et quand il n'y aura plus rien à sucer, ils nous recracheront.
Valerius Falco reconnaît ce désespoir. Il l'a souvent côtoyé sur les champs de bataille ; c'est celui qui vous saisit au moment où vous plantez votre dague dans le coeur de l'ennemi, pensant n'y trouver que de l'amertume mais y découvrant votre propre reflet. Tuer l'autre n'est pas seulement lui ôter la vie, c'est accepter qu'en quittant ce monde, il emporte votre regard avec lui. Il faut briser le miroir pour ne pas devenir fou, mais quoi qu'il en soit, vous n'oubliez jamais.
ll y a des jours et des lieux pour mourir, ou pour voir la mort... des jours où l'on s'y attend ; mais pas à dix ans, pas cet après-midi, pas dans cette herbe parmi les fleurs au milieu des pâturages...
Harero court à en perdre haleine. Il court sans se soucier des pierres qui meurtrissent ses pieds, sans penser à ses bêtes qu'il a laissée là-haut, il court sans essayer de rattraper son bâton qui vient de s'accrocher à un buis et de lui échapper.
Il court, sans se retourner.
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