Je me lève et plonge dans la mer. Je la laisse s’emparer de moi. Elle me chavire, me bouscule, m’enveloppe. Me montre qu’elle peut être tendre et violente, comme les humains. Qu’il ne tient qu’à moi d’apprendre à maîtriser ses courants et m’en faire des alliés. Qu’à chaque instant je peux m’y baigner ou m’y noyer.
Je savoure lentement ma boisson gazeuse, en détaillant mon père. Pour l’instant, son veston repose sur la chaise à gauche de la sienne, mais il a revêtu son costume d’été bleu nuit qui le fait ressembler à Cary Grant. Ma mère doit être aux anges.
Je demeure immobile, me demandant combien de fois, au cours d’une vie, un cœur peut se briser avant qu’il ne soit plus possible de le rapiécer ?
Ma joie est indescriptible quand je vois enfin la mer. Grise, houleuse, écumeuse, elle m’attend. J’enlève mes flip flops et cours vers elle, les cheveux au vent, les yeux fermés, les bras ouverts, comme si je désirais l’embrasser. Je crie :
— Libertéééééééééééééééééé…
Je ne songe pas à l’avenir. Je pense au moment présent. À ma peau qui picote de partout. À mon sang qui circule à une vitesse folle dans mes veines. À mon cœur, dont chaque battement me rappelle que je suis amoureuse. Je veux crier, chanter et pleurer tout à la fois. Je me sens belle, électrique et magique. J’ai des bottes de sept lieues qui me font voler…
All the lonely people… where do they all come from ? All the lonely people… where do they all belong ? Eleanor Rigby ! Je monte le volume de la radio transistor de mon père. J’adore cette chanson. Je l’ai adoptée dès sa sortie, persuadée que c’était de moi que Les Beatles parlaient… Pas comme avec cette Michelle, ma belle qui me colle au cul. La solitude d’Eleanor était la mienne…