Lorsqu'on entre dans une boulangerie-pâtisserie, on sait parfois que le pain est très bon et la viennoiserie exécrable ou réciproquement. Bien évidemment, les deux peuvent être exécrables, auquel cas on n'en parle pas et on va voir ailleurs. Il arrive aussi, mais c'est plus rare, que les deux soient excellents, et là on devient fidèle parmi les fidèles.
Vous aurez compris qu'il est éminemment affaire de goût dans cette histoire et que celui-ci aime ce pain, celui-là le tolère et cet autre encore ne le supporte pas. Pour ma part, lorsque j'entre dans la boulangerie-pâtisserie
Shakespeare, je raffole de la tragédie, j'aime plutôt bien ses tragi-
comédies et par contre, j'ai beaucoup de mal avec ses
comédies.
Si je vous dis que
Roméo Et Juliette est une tragi-comédie et que le Songe D'Une Nuit D'Été est une comédie, vous aurez déjà compris où je veux en venir. Mais approfondissons quelque peu.
1) ROMÉO ET JULIETTE
Il faut probablement remonter jusqu'à Boccace pour comprendre l'ensemble du phénomène et la suite d'appropriations et de réappropriations d'oeuvres désormais quasi oubliées qui ont conduit au chef-d'oeuvre que l'on connaît.
Boccace a connu un tel succès avec son Décameron que nombre d'écrivains italiens ont tenté d'exploiter le filon. Ainsi, Masuccio de Salerne (1410 – 1475) produira un Novellino, ouvrage qui regroupe cinquante courtes
nouvelles, dont la 33ème, qui est une certaine Romeo e Giulietta.
C'est une version certes primitive mais déjà suffisamment marquante pour avoir été repérée, reprise et enrichie par Luigi da Porto (1485 – 1529) et qui a son tour sera ré-assaisonnée par
Matteo Bandello (1480 – 1561) dans son gros corpus d'histoires courtes, dont
Shakespeare connaissait la traduction du français Pierre Boaistuau.
Mais, si
William Shakespeare remet le couvert de
Roméo Et Juliette, c'est qu'il a sûrement une ou deux idées en tête, le bougre, en cette fin du XVIème siècle, particulièrement chaude sur la question du mariage, notamment en raison du séisme que provoque la réforme protestante. Laquelle doctrine défend le mariage « d'inclination » au détriment des règles classiques du mariage dans tout le monde chrétien, à savoir, le choix des parents et l'intérêt de la famille.
De tout temps, hier comme aujourd'hui, quel meilleur symbole d'émancipation pour la jeunesse que celui de Roméo et de Juliette, deux amoureux qui n'ont que faire de l'opinion de leurs parents respectifs et qui préfèrent braver l'interdit que de s'interdire leur amour ?
Ce thème, en lui seul, suffirait presque à expliquer le succès de la pièce depuis plus de quatre siècles. Mais il n'est probablement pas tout. Aussi, vais-je hasarder une autre interprétation qui n'est pas spécialement fréquente pour cette pièce.
Shakespeare nous dresse un tableau où deux familles rivales s'opposent, pour des raisons anciennes, obscures et probablement oubliées, dans une lutte à mort. le vieux Montague et le vieux Capulet sont deux respectables, aimables, riches citoyens de Véronne, estimés l'un et l'autre du seigneur de la ville, mais ils ne peuvent pas se sentir, c'est comme ça.
Chacun des membres du clan ne demande que le prétexte pour se lancer dans une échauffourée avec la bande rivale. C'est ce point qui me semble capital dans la compréhension des intentions de l'auteur dans cette tragi-comédie.
La première version publiée de l'oeuvre remonte à 1597, mais il est clairement spécifié qu'à la date de cette publication, la pièce est déjà montée et jouée depuis un certain temps, certains avancent 1594, mais à la vérité on n'en sait rien, juste une présomption. Que ce passe-t-il dans l'Angleterre de
Shakespeare à cette époque ?
1588,
Francis Drake bat l'Invisible Armada espagnole mais le risque d'une invasion de l'Angleterre par les Espagnols est réel. de nombreux combats ont eu lieu avant et se poursuivent après cette date.
L'Irlande (déjà elle !) est une véritable poudrière et risque d'exploser à la figure de l'Angleterre, notamment en servant de base arrière à l'armée espagnole.
Bref, Philippe II d'Espagne (le fils de Charles Quint) et Elisabeth Ière d'Angleterre ressemblent étrangement à ces vieux Montague et Capulet, qui se crêpent le chignon sans trop savoir pourquoi, pour d'anciennes histoires de prestige (notamment liées au commerce dans les Antilles et en Amérique).
Comment s'appelle le poison, le démon des Espagnols ? Ne serait-ce un certain
Francis Drake ? N'est-ce point un poison qui tue Roméo ? N'est-ce point une arme virile qui tue Juliette ? La symbolique du démon et de la folie est également évoquée dans la tirade de Juliette, juste avant qu'elle n'avale la fiole à la scène 3 de l'acte IV.
Shakespeare utilise le terme de mandragore. C'est certes une plante, connue pour ses vertus hallucinogènes et de supposées propriétés magiques, mais c'est aussi une façon, en langue anglaise, d'évoquer le démon et l'occultisme. Je vous le donne en mille, comment se dit mandragore en anglais ? Mandrake ! Man Drake !
Bien évidemment, on peut toujours arguer le hasard, mais venant de
Shakespeare, le doute est plus que permis. Comment s'achève la pièce ? Les deux clans pleurent les innocents morts pour rien et leur élèvent à chacun une statue d'or. Voilà qui leur fait une belle jambe, n'est-ce pas ?
Donc, outre l'appel à l'émancipation de la jeunesse et à la fin de la férule des parents, je vois dans cette pièce un message plus politique, celui que quand les puissants s'affrontent, les enfants innocents de chaque nation payent l'addition et que tout ce qu'ils récoltent, c'est, au mieux, un monument à leur nom. En somme, une dénonciation de la folie des dirigeants qui s'engagent dans des conflits sans fondement et qui sacrifient de jeunes vies pour cela. À méditer par les temps qui courent...
Après le pain, passons maintenant à ce que je considère comme une purge tellement c'est sucré et mièvre et pâle au goût, à savoir :
LE SONGE D'UNE NUIT D'ÉTÉ
Ce que je m'y suis ennuyée : un vrai calvaire (et en plus c'était un calvaire solitaire, donc forcément ça ronge de l'intérieur) !
Les fleurs d'amour, les sortilèges, les quiproquos voireux… pfff ! ce n'est vraiment pas mon truc. J'ai pour principe de considérer que quand une comédie, à aucun moment, ne me fait rire, ni même sourire, selon mes critères, c'est une comédie ratée.
Donc, pour celles et ceux qui aiment le sucre et l'huile de palme à gogo, sachez que la pièce se déroule en Grèce à l'époque héroïque de Thésée et d'Hippolyta, la reine des Amazones. (L'auteur utilise abondamment comme source d'inspiration la tradition antique léguée notamment par Les Métamorphoses d'
Ovide.)
Ces deux-là ont échafaudé de se marier mais comme l'intrigue a besoin d'un peu plus de matière grasse,
Shakespeare a imaginé de fourrer son beignet avec deux ou trois autres couples boiteux histoire de compliquer la donne.
Ainsi, Lyssandre aime Hermia, fille d'Égée, et elle l'aime aussi. Tout va bien alors ? me direz-vous. Non, pas tout à fait, car Égée, lui, ne veut pas entendre parler de Lyssandre et n'a d'yeux que pour Démétrius, ce qui, évidemment, n'est pas du tout du goût d'Hermia. Vous me suivez ? Non ? Vous dormez déjà ?
Mais ce n'est pas tout, car Démétrius était au préalable amoureux d'Héléna, la meilleure copine d'Hermia, avant de changer de cap et de lorgner sur cette dernière. Mais elle, Héléna, est restée raide dingue de Démétrius. On n'en sort pas. Et comme si tout ça n'était pas suffisant, voilà-t-y pas qu'il y a de l'eau dans le gaz chez les Fées également !
Obéron, le patron des farfadets, trolls et autres sortilégineux se prend le bec avec sa bourgeoise Titania, la taulière des elfes & fées. du coup, l'Obéron, qu'a plus d'un tour dans son sac se dit qu'il va lui faire mettre un coup de fleur d'amour dans le nez à la Titania pendant son sommeil et que ça va pas traîner.
Au passage, dit-il à Robin, son homme de main, en te promenant, tu vas mettre aussi un p'tit coup de fleur à Démétrius, histoire qu'il regarde à nouveau Héléna avec des yeux lubriques à son réveil.
C'est là qu'intervient la scène censée être d'anthologie où Titania se réveille et tombe en pâmoison devant un gugusse à tête d'âne. Rrrrr ! Zzzzz ! Rrrr ! Zzzzz ! [ceci symbolise les " elffets " du sortilège d'Obéron sur moi ou bien d'une digestion compliquée d'un beignet décidément trop gras]
Cependant, vu qu'Obéron donne à Robin des instructions claires comme du jus de boudin, l'autre, pas plus consciencieux qu'il ne faut, badigeonne des grands coups de fleur d'amour à… Lyssandre ! Aaah, l'innocent ! L'étoudi ! Ouh, là, là ! Ça va être dur à rattraper un coup comme ça ! J'aime mieux vous laisser découvrir la suite par vous-même.
Faut-il encore que je vous parle d'une troupe de comédiens amateurs qui essaiyent à tout prix de faire une pièce pas drôle, et que c'est vraiment pas drôle de les voir faire leur pièce pas drôle… Zzzzz ! Rideau.
Bon, à l'extrême — extrême — rigueur, on pourrait supputer une toute petite once d'intérêt à la réflexion de l'auteur à propos de l'éphémère sensation qu'est l'amour en nos vies… Ouaip. Vous aviez besoin de ça pour avancer ?
Bon, je ne vous cache pas que selon moi, ce livre vaut surtout pour sa première pièce, mais après, vous en faites ce que vous voulez car ce n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.