La structure narrative de
Maître Au-delà s'inspire largement de celle du Pauvre coeur des hommes de Sôseki. Dans une première partie, le récit est autodiégétique, le narrateur Kikuhito parle de sa rencontre avec le maître et ses tentatives pour percer les secrets de cet écrivain plutôt mystérieux. Dans la seconde partie, le lecteur assiste à une sorte de digression lorsque le jeune homme part en Europe pour voyager avec ses parents. Enfin, la troisième et dernière partie du texte va consister en une sorte de confession de l'écrivain fantasque, sous la forme d'un journal envoyé à son jeune disciple. La différence principale entre ces deux ouvrages réside essentiellement dans la teneur de ces aveux. Dans l'oeuvre de Sôseki, le maître se suicide après avoir confessé dans une longue lettre sa propre noirceur. Dans le roman de
Shimada Masahiko, pastiche ironique du Pauvre coeur des hommes, le maître se retire dans un asile après avoir livré à Kikuhito le récit de sa vie déréglée, des dérèglements consentis pour nourrir son écriture.
Maître Au-delà est un soufflé. Un bon gros soufflé qui promet un régal. Mais qui retombe avec un fracas étourdissant. Certainement le bruit des illusions brisées… Influencé par le quatrième de couverture, je m'attendais à la description d'une relation triangulaire entre le maître, sa femme et le jeune disciple influençable qu'il aurait initié à l'homosexualité. Fans d'uranisme, passez votre chemin…La lecture de ce livre ne satisfera absolument pas votre voyeurisme…En revanche, si votre intérêt pour la sexualité est plus général, vous serez comblés…Pendant près de cent pages vous suivrez les tribulations libertines d'un jeune japonais qui multiplie les partenaires, les positions, les expériences…Les termes que choisit Kikuhito pour décrire cet étalage écrit de chair et de libidinosité sont d'une sobriété naïve : « pornographie émaillée de verbiage » (p. 297). Ne sois donc pas bégueule ! C'est du cul pour du cul et puis c'est tout ! Oh oui il y a un pseudo-discours derrière tout ça…Un pseudo-message bouddhique qui prônerait que le monde serait parcouru par l'amour et que ce dernier constituerait l'énergie vitale, première et originelle. Personnellement, j'ai beaucoup de mal à voir en ces confessions impudiques une ode à l'amour, aussi maladroite puisse-t-elle être. En d'autres termes, la mise en place de l'intrigue promet un grand moment de littérature alors que malheureusement la conclusion consiste en une pirouette un peu facile, à l'instar du maître qui se cloître dans un hôpital psychiatrique pour signifier, à gros traits appuyés, qu'il se coupe du monde.
Enfin, et c'est peut-être le plus perturbant, le personnage de Kikuhito, supposé central dans le récit, subit un traitement un peu bâclé. Non seulement ne connaît-il aucune évolution signifiante, mais en plus, ce n'est pas à lui qu'est consacré le dernier
chapitre du livre ! Mais bien à une amante du maître qui s'est vouée au bouddhisme. Comme si on n'avait pas déjà compris l'importance que cette philosophie a pour l'auteur…
Pour conclure sur une note positive, il faut mentionner la présence de certains aphorismes plutôt bien sentis. La réflexion sur l'art romanesque n'est pas inintéressante, bien que parfois un peu caricaturale. La figure de l'homme de lettres qui se livre aux excès pour le bien de sa littérature est, en effet, un poncif… Enfin, le style est fluide, agréable à lire (à supposer que la traduction respectât autant que faire se peut la prose originale). Les références culturelles sont nombreuses et témoignent de l'extrême érudition de l'auteur.