Citations sur Tout l'amour de nos pères (50)
"Tout l'amour de nos pères
Ne nous consolera jamais
De les avoir perdus."
Pourtant, mes sentiments étaient partagés vis-à-vis de Napoléon.
Je gardais en moi une sorte de nostalgie de la vie que j'avais menée, de la solidarité des soldats, mais en même temps je songeais à tous ceux qui avaient laissé leur vie sur les champs de bataille, et aussi à ceux qui allaient partir bientôt au combat. Avec le recul, certains jours, je haïssais l'Empereur
[Albine voit parfois son neveu Charles. Fâché avec son père, il va voir sa tante au Grand Castel, quand il est en permission]
En découvrant ce jeune homme élégant, très droit dans son uniforme, sa peau mate, son regard noir, sa voix douce mais assurée, je m'étais demandé pourquoi tous les fils aînés des Marsac rêvaient de s'engager dans l'armée.
Quelle était cette malédiction qui pesait sur eux ?
Ne leur venait-elle pas de Pierre Marsac, mon père,
qui, le premier, avait rejoint l'armée à dix-neuf ans pour défendre la patrie en danger ?
Rien ne m’a paru forcé chez elle, mais au contraire tout à fait naturel. Elle n’en savait pas plus que moi et nous avons fait le chemin l’un vers l’autre sans fausse honte et sans fausse pudeur. J’avais encore du mal à croire que cette jeune femme si belle m’appartenait. D’ailleurs, au cours des années qui ont passé, je ne me suis jamais vraiment apprivoisé à cet être auquel il m’a toujours semblé ne pas avoir droit. C’est ainsi, je n’y puis rien. À la fois indépendante, sauvage et tendre, elle montrait parfois des élans du cœur et du corps qui me surprenaient et me laissaient submergé d’un bonheur que je n’ai jamais cru menacé.
On ne devrait jamais grandir. Et d’ailleurs on ne sait pas que l’on grandit, au moins jusqu’à douze ans, c’est-à-dire à l’âge où il faut partir pour la première fois. Les jours, le temps n’existent pas. Seuls existent la main chaude des heures, ses parfums, ses cadeaux, la certitude que rien, jamais, ne sera aboli de ce qu’est la vie, du moins ce que l’on croit qu’elle est – qu’elle devrait être.
La vie continuait, en somme, et personne ne songeait à regarder en arrière, tout le monde cherchait à oublier. Les maux, les maladies ne changeaient guère, ainsi que le combat quotidien qui m’épuisait de plus en plus, car mes patients refusaient le plus souvent d’être conduits à l’hôpital, même lorsque leur vie était en danger. Pour eux, depuis toujours, un médecin devait être capable de trouver la solution à tous leurs problèmes.
Quand le sourire réapparaissait sur le visage d’un patient qui avait souffert, je savais que j’avais gagné une partie difficile et je m’en trouvais réconforté pour la journée. Pour un médecin, en effet, il est nécessaire de rencontrer plus de victoires que de défaites : c’est ce qui lui permet d’avancer sur une route où souvent il est seul, avec en lui le doute et la peur d’échouer.
Je livrais maintenant des combats contre le manque d’hygiène dans les fermes, contre la maladie, la malnutrition, les accidents de la naissance ou du travail des champs ; contre l’ignorance, surtout, et ses conséquences désastreuses. J’étais souvent prévenu trop tard, car les paysans faisaient d’abord appel à un sorcier ou à un rebouteux avant de s’en remettre à moi.
Ce que je redoutais le plus, c’était les surinfections, les hémorragies internes, les péritonites, les congestions pulmonaires, les accouchements difficiles, mais aussi les mauvaises interprétations de mes ordonnances par une population qui ne savait pas toujours lire très bien et demeurait enfermée dans des superstitions qui, souvent, l’égaraient.
Mais la médecine, en 1893, était toujours démunie face à cette maladie, même si l’on connaissait les conditions de son développement : l’humidité, la misère, le manque d’hygiène, la malnutrition et bien évidemment la contagion.