Chez Krull

La lune se levait et les éclairait tous les deux, donnant plus de mystère à la présence de ces deux êtres immobiles dans la nuit, sertis dans une fenêtre comme dans un cadre suspendu au flanc de la maison.

Il ne s’agit pas d’être agressif, mais sûr de soi !… Comme les Juifs quand ils s’installent quelque part… Ils n’ont honte ni de leur nom, ni de leur nez… Ils n’ont pas honte non plus de leur commerce, de leur rapacité… C’est ainsi et pas autrement !… Tant pis pour les gens et pour ce qu’ils pensent !… Ils vivent entre eux et peu importe si les gamins, dans la rue, leur adressent des grimaces…

C’était très particulier. Elle ne pleurait pas. Elle ne pleurait jamais. Mais souvent, le soir, quand elle se laissait aller à ses pensées, elle prenait un ton monotone de lamentations et, comme on ne voyait pas ses yeux, on pouvait les croire humides.

Comme dans les incendies, la fièvre diminuait dans un secteur, tombait parfois à plat, mais c’était pour reprendre dans un autre coin.

Je crois qu’il arrive à tout le monde, en voyant passer une femme dans la rue, de recevoir une bouffée de désir, d’imaginer que ce désir se réalise, d’évoquer les moindres détails…
— La différence, c’est que cela n’arrive pas aux gens normaux pour chaque femme qui passe !

Le ciel était descendu doucement jusqu’à presque toucher le toit des maisons, un ciel d’un blanc cotonneux que le soir estompait et qui soudain fondait en une pluie fine comme un brouillard.

Maria Krull parlait, parlait, avec un débit égal, comme on récite la Bible, comme les chrétiennes, dans leur coin sombre d’église, grignotent des chapelets.

Il avait parcouru une partie de l’Allemagne, la Belgique, le nord de la France. Il avait atteint un champ d’osier entre une rivière et un canal et il s’y était installé, simplement, sans chercher plus loin, comme les Juifs s’étaient arrêtés quand ils avaient atteint la Terre promise.

Mais il ne disait rien. Il ne disait jamais rien. C’était peut-être un idiot, peut-être un philosophe qui vivait tout doucettement sa vie personnelle à l’abri d’une invisible carapace.

Le ciel, au-delà du feuillage vert sombre des arbres, commençait à se cuivrer, tournait au rouge avant d’atteindre au violet des soirs d’été.