Toute sa vie, il avait beaucoup bu. C'est bien pourquoi cela ne valait pas la peine de s'arrêter. Un alcoolique qui s'arrête de boire n'est-il pas un homme fini?
Un bateau italien qui venait de San Francisco était accosté au port, devant les bâtiments de la douane. De ce côté-là, on avait allumé toutes les lampes, d'énormes ampoules électriques à la lumière blanche et crue qui pendaient à des fils un peu partout, de sorte que de loin cela donnait l'impression d'un plateau de cinéma, avec des ombre s'agitant en tous sens, les coups de sifflet commandant le vacarme métallique des grues et des palans, les couleurs mangées par les projecteurs, le vert et le rouge du pavillon, par exemple, tout pâles, tranchant à peine sur le blanc.
Un bateau était arrivé, jadis, devant cette île {Tahiti} où vivaient, comme dans un Paradis terrestre, des hommes et des femmes couronnés de fleurs.
Les hommes, aujourd'hui, étaient garçons de café ou chauffeurs ; les filles, les plus belles d'entre elles, passaient en riant des bras d'un homme blanc aux bras d'un autre homme blanc.
Les minutes, les heures devaient passer, mais elles étaient si fluides qu'on n'en avait pas conscience. La cendre blanche du cigare s'allongeait. Des centaines d'autres bateaux gravitaient ainsi dans la nuit des océans, avec leur chargement d'humains qui allaient quelque part où les appelait leur destin.
La lumière, les couleurs, les bruits, tout évoquait une sieste de rêve. Le soleil arrondissait les angles, effaçait un peu les contours, et c'était le soleil aussi qui épaississait l'air au point que les sons, jusqu'aux klaxons des autos, en étaient amortis.