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Critique de Polars_urbains


Lettre à mon juge est la longue confession (un des rares romans de Simenon à la première personne) du docteur Alavoine, condamné pour le meurtre de sa maîtresse, au juge d'instruction Cornéliau (ennemi intime de Maigret par ailleurs) expliquant avec une précision étonnante comment un homme somme toute plutôt ordinaire bascule un jour dans une autre vie et subit ce que le sociologue Bernard Lahire appelle une « rupture de trajectoire ». Thème que l'on retrouve par exemple dans L'homme qui regardait passer les trains, Maigret et le clochard ou Maigret et l'homme du banc.

Homme d'origine modeste, Charles Alavoine réussit sa médecine et grimpe dans l'échelle sociale, ce qui ne l'empêche pas de ressentir un immense sentiment de malaise. Car cet homme soumis, à sa mère d'abord, à sa seconde épouse ensuite, s'est laissé installer par lâcheté et par vanité dans une vie qui ne le satisfait finalement pas. Et la réussite et la reconnaissance débouchent soudain sur un sentiment de vide : « Je continuais à accomplir les gestes de tous les jours. Je n'étais pas malheureux, ne croyez pas cela. Mais j'avais l'impression de m'agiter à vide. ». C'est sa rencontre avec Martine, une femme de mauvaise vie qui cache de nombreuses blessures et qui deviendra sa maitresse, qui lui permettra enfin de quitter un milieu auquel il n'a finalement jamais souhaité appartenir pour repartir à zéro, pour se « déclasser » en quelques sorte. Pour se perdre aussi, jusqu'au drame final.

Ce qui pourrait n'être qu'une banale histoire de « ménage à trois » aborde plusieurs thèmes récurrents chez Simenon : le décalage social (un médecin issu d'un milieu modeste peine à se situer dans une société d'héritiers, ou comment la « première génération montante » ne s'est pas encore intégrée à une bourgeoisie plus ancienne) ; la difficulté de vivre avec une épouse qui domine socialement et culturellement son mari et vit son mariage comme un déclassement (Alavoine écrit que son sourire est empreint d'une « ironique condescendance » ; la jalousie, surtout sexuelle (cf. Les vacances de Maigret) ; le besoin de communiquer (« Mon juge, Je voudrais qu'un homme, un seul, me comprenne. Et j'aimerais que ce soit vous. ») ; le procès d'assises considéré comme un spectacle de la justice ne voulant pas voir ce qui importe dans un crime. Cela donne un des romans les plus graves et les plus sombres de Simenon, un livre dont on ne sort pas tout à fait indemne.
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