C’était curieux. Maigret n’avait pas du tout envie de mettre en marche la lourde machine policière. Ce n’était qu’une intuition, certes, mais il lui semblait que cette affaire ne pouvait sortir du cadre de Montmartre, où tous les événements s’étaient déroulés jusqu’ici.
Ce matin, dans le bureau de Lucas, il avait à peine fait attention à elle. Ce n’était qu’un petit oiseau de nuit comme il y en a tant. Cependant, il avait été frappé par sa jeunesse et quelque chose lui avait paru clocher. Il entendait encore sa voix rauque, la voix qu’elles avaient toutes au petit jour, après avoir trop bu et trop fumé. Il revoyait des yeux inquiets, se souvenait s’un coup d’œil qu’il avit machinalement jeté à sa poitrine, et surtout cette odeur de femme, presque une odeur de lit chaud, qui émanait d’elle.
C'était une de ces journées mornes par lesquelles on se demande ce qu'on est venu faire sur la terre et pourquoi on se donne tant de mal pour y rester.
[...] ... "Je l'ai tué !" répéta-t-il sans oser se tourner vers le corps.
Janvier était penché dessus.
- "Mort. Tu l'as eu en pleine poitrine."
Maigret crut un instant que Lapointe allait s'évanouir, lui mit la main sur l'épaule.
- "C'est ton premier ?" demanda-t-il doucement.
Puis, pour le remonter :
- "N'oublie pas que c'est lui qui a tué Arlette.
- C'est vrai ..."
C'était drôle de voir l'expression enfantine de Lapointe, qui ne savait plus s'il devait rire ou pleurer. ... [...]
[...] ... Le plus émouvant est toujours un détail ridicule et, en l'occurrence, ce qui donna à Maigret un petit serrement de coeur, ce fut, à côté d'un pied encore chaussé d'un soulier à haut talon, un pied déchaussé dont on distinguait les orteils à travers un bas de soie criblé de gouttelettes de boue, avec une échelle qui partait du talon et montait plus haut que le genou.
- "Morte, évidemment," dit le médecin. "Le type qui a fait ça ne l'a pas lâchée avant la fin.
- Est-il possible de déterminer l'heure à laquelle cela s'est passé ?
- Il y a une heure et demie à peine. La raideur cadavérique ne s'est pas encore produite."
Maigret avait remarqué, près du lit, derrière la porte, un placard ouvert, où pendaient des robes du soir, noires pour la plupart.
- "Vous croyez qu'elle a été saisie par derrière ?
- C'est probable, car je ne vois pas de traces de lutte. C'est à vous que j'envoie mon rapport, M. Maigret ?
- Si vous voulez bien."
La chambre, coquette, ne faisait pas du tout penser à la chambre d'une danseuse de cabaret. Comme dans le salon, tout était en ordre, sauf que le manteau en faux vison était jeté en travers du lit et sac à main sur une bergère.
Maigret expliqua.
- "Elle a quitté le Quai des Orfèvres vers neuf heures et demie. Si elle a pris un taxi, elle est arrivée ici vers dix heures. Si elle est venue en métro ou en bus, elle est sans doute rentrée un peu plus tard. Elle a été attaquée tout de suite."
Il s'avança vers le placard, en examina le plancher.
- "On l'attendait. Quelqu'un était caché ici, qui l'a prise à la gorge dès qu'elle eut retiré son manteau."
C'était tout récent. Il était rare qu'ils eussent l'occasion d'arriver aussi vite sur les lieux d'un crime. ... [...]
c’était un solitaire, et il avait appris à se méfier des solitaires.
c’était un solitaire, et il avait appris à se méfier des solitaires.
— Et l’autre, qui est-ce ?
— Une jeune fille que vous ne devez pas avoir connue, car elle n’a que vingt ans.
— Merci de me rappeler que je suis une vieille femme.
— Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire.
— Parce que je l’ai vu sortir de sa chambre à six heures du matin. C’est une des raisons pour lesquelles je suis partie. Quand les domestiques couchent dans le lit des patrons, c’est la fin de tout.
Au fond, Maigret le soupçonnait d’avoir pris goût à la malchance et à la mauvaise humeur, de s’en être fait un vice personnel, qu’il entretenait avec amour comme certains vieillards, pour se faire plaindre, entretiennent leur bronchite chronique.