Il ne s’agissait pas de tristesse, plutôt d’une expression boudeuse de petite fille qui, dans la cour de l’école, reste à l’écart et regarde jouer ses camarades.
En somme, toute la maison sait que Lulu est la maîtresse du professeur ?
— Ceux qui ne le savent pas, c’est qu’ils n’ont pas envie de le savoir.
Vous vivez seule ?
— Avec mon mari.
— Il a fait de la prison aussi ?
— Jamais. Il se contente de boire.
— Il ne travaille pas ?
— Il y a quinze ans qu’il n’a pas travaillé une seule journée, pas même pour enfoncer un clou dans le mur.
Elle disait cela sans amertume, d’une voix égale où il était difficile de déceler de l’ironie.
— Que s’est-il passé ce mati
[...] ... - "Vous parlez de Melle Decaux ? Elle ne m'a pas paru le moins du monde embarrassée. Je suppose que, dès que je l'ai quitté, elle vous a téléphoné pour vous mettre au courant ?
- Elle m'a répété vos questions et ses réponses. Elle se figurait que c'était important. Les femmes ont un perpétuel besoin de se convaincre de leur importance.
- Lucile Decaux est votre collaboratrice la plus immédiate, n'est-ce pas ?
- Elle est mon assistante.
- Ne vous sert-elle pas en outre de secrétaire ?
- C'est exact. Et même, elle a dû vous le dire, elle me suit partout où je vais. Cela lui donne l'impression qu'elle joue un rôle capital dans ma vie.
- Elle est amoureuse de vous ?
- Comme elle le serait de n'importe quel patron, pourvu qu'il soit célèbre.
- Elle m'a paru dévouée, au point de faire un faux serment, par exemple, si c'était nécessaire, pour vous tirer d'embarras.
- Elle le ferait sans hésitation. Ma femme a été en contact avec vous, elle aussi.
- Elle vous l'a dit ?
- Tout comme Lucile, elle m'a répété les moindres détails de votre entretien."
Il parlait de sa femme du même ton détaché qu'il avait pris pour parler de son assistante. Il n'y avait aucune chaleur dans sa voix. Il constatait des faits, les relatait, sans leur accorder de valeur sentimentale. ... [...]
Certaines gens, qui n’ont aucun intérêt sérieux dans la vie, s’imaginent qu’un enfant leur donne de l’importance, une sorte d’utilité, et qu’ainsi ils laisseront quelque chose derrière eux. Ce n’est pas mon cas.
la plupart des médecins sont plus effrayés par la maladie que leurs patients.
À trois cents mètres, brillaient les lumières du carrefour Barbès. Il ne pleuvait plus. Le même brouillard que le matin commençait à tomber sur la ville et les lumières des autos étaient entourées d’une auréole.
- Vous l’aimiez ?
- Non.
- Pourquoi l’avez-vous épousée ?
- Pour avoir quelqu’un dans la maison. La vieille femme qui s’occupait de moi n’en avait plus pour longtemps à vivre. Je n’aime pas être seul, monsieur Maigret. Je ne sais pas si vous connaissez ce sentiment-là ?
Vous ne vous sentez pas parfois seul, dans le monde tel que vous le voyez ?
— L’être humain est seul, quoi qu’il en pense. Il suffit de l’admettre une bonne fois et de s’en accommoder.
— Je croyais que vous aviez horreur de la solitude ?
— Ce n’est pas de cette solitude-là que j’ai parlé. Mettons, si vous préférez que le vide m’angoisse. Je n’aime pas être seul dans un appartement, ou sur un trottoir, dans une voiture. Il s’agit d’une solitude physique, non d’une solitude morale.
Il ajouta, avec l’air de défier le commissaire, de défier le monde entier :
— Je l’aime !
Il n’y avait pas d’emphase dans sa voix. Au contraire, il hachait les syllabes.