Citations sur Le marchand de livres maudits (75)
Vivïen de Narbonne avait non seulement été pour Ignace un ami, mais aussi son associé en affaires. Ils avaient ensemble importé d’Orient quantité de reliques et de livres précieux, souvent commandés par de riches seigneurs de France et d’Allemagne. Tout s’était bien passé jusqu’à cette livraison pour Adolphe, l’archevêque de Cologne. Sans raison apparente, un événement d’une très grande gravité s’était produit : les deux compagnons avaient découvert qu’ils étaient traqués par une société secrète et terrifiante, la Sainte-Vehme, redoutée dans toute l’Europe. Le chef de ces émissaires se faisait appeler Dominus, plus connu sous le nom du Masque rouge.
Première partie
Chapitre 15
Ignace et Willalme suivirent les instructions de Ginesio. Ils se retrouvèrent rapidement devant une porte en bois. Un vrai luxe, estima le marchand, accoutumé aux immenses dortoirs où les paillasses n’étaient séparées que par de simples rideaux.
L’hôtellerie était presque totalement bâtie en bois, avec des murs recouverts d’un treillage. À l’entrée, derrière son comptoir, se tenait un individu affublé d’une cotte de toile de coton et d’yeux de chouette. Ginesio, le tenancier, salua les pèlerins et déclara que l’abbé avait ordonné qu’on leur attribue la meilleure chambre. « Montez, la troisième porte à droite mène à votre logis, dit-il avec un sourire niais, et il indiqua un escalier conduisant à l’étage supérieur. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, adressez-vous à moi. Bon séjour. »
Ils s’acheminaient souvent vers des destinations sacrées, des monastères d’Allemagne et de France, ou rejoignaient le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Tandis que d’autres faisaient route vers le sud, en direction du temple de l’archange saint Michel, dans le Gargano.
L’édifice remontait aux premières décennies de l’an mille. La façade présentait une succession de petites fenêtres qui étaient venues s’encastrer dans la construction. Elle était orientée à l’est. L’aile gauche, outre un modeste clocher, abritait un groupe de bâtiments adossés les uns aux autres : le réfectoire, les cuisines et le dortoir des moines. À droite, se trouvaient les écuries et l’hôtellerie, où s’arrêtaient des voyageurs de toutes sortes. La plupart gagnaient le monastère en se rendant de Ravenne à Venise.
Le monastère de Santa Maria del Mare surplombait la lagune, non loin de la côte adriatique. Sans être particulièrement imposant, il dominait les espaces déserts entourés de canaux et de marais.
Après dîner, le marchand s’installa à la table de son logis. Il alluma la chandelle et tira de sa besace une feuille de papier arabe. Il prit une plume d’oie, la trempa dans l’encrier, puis commença à écrire.
Willalme, quant à lui, se pelotonna sans attendre sur son grabat. Des années durant, il avait dormi dans la cale oscillante d’un navire, raison pour laquelle, malgré la fatigue, il mit un certain temps à s’endormir. Le lendemain, il devait se charger d’une importante affaire pour Ignace.
Il croisa ses doigts derrière sa nuque et fixa les poutres au plafond, semblables aux côtes d’un squelette gigantesque. Avant de céder au sommeil, il songea à un détail qui l’avait frappé après le dîner : au moment où il se retirait avec Willalme pour la nuit, il avait aperçu dans l’ombre de l’hôtellerie, Hulco et Ginesio avec des airs de conspirateurs. Ils mimaient avec les mains les dimensions d’un objet rectangulaire d’une grande contenance.
Il devait se lancer sur les traces d’un livre extraordinaire disparu depuis des siècles, clef de résolution de mystères inimaginables, au contenu capable de conférer un pouvoir dépassant l’entendement et d’ouvrir les portes d’un savoir auquel nul ne pouvait accéder, pas même le plus grand des alchimistes ou des philosophes.
Il repensa à sa mission. Mission pour laquelle le comte l’avait rappelé d’urgence de Terre sainte.