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C'était le bon vieux temps… Ambiance folklorique oblige, La jungle s'ouvre sur une cérémonie lituanienne de l'acziavimas. Un défilé de personnages s'anime sous nos yeux : Teta Elzbieta apporte les mets du banquet, la grand-mère Majauszkiene complète avec le plat débordant de pommes de terre, Tamoszius Kuszleika remplit la salle des mélodies endiablées et joyeuses qu'il tire de son violon, faisant danser les invités au nombre desquels on découvre Jurgis et Ona, tandis que Marija Berczynskas, infatigable, se démène d'un bout à l'autre de la salle pour assurer le bon déroulement de la cérémonie, veillant à ce que les règles et les traditions soient appliquées selon le bon ordre. On ne s'ébroue pas dans la richesse mais enfin, il y a des pommes de terre, du jambon, de la choucroute, du riz bouilli, de la mortadelle, des gâteaux secs, des jattes de lait et de la bière ; et puis surtout, les retrouvailles sont joyeuses et animées ; elles consolident un peu plus une communauté déjà chaleureuse.


C'était le bon vieux temps, et il faudra se souvenir de cette cérémonie dans le pays comme le dernier épisode heureux vécu par Jurgis et Ona. Les deux jeunes personnes ont à peine la vingtaine lorsqu'elles décident de prendre le bateau, de traverser l'Atlantique et d'atteindre les Etats-Unis. Il paraît qu'ici, le travail se trouve facilement, que les salaires sont élevés, et que les logements et les institutions modernes permettent à n'importe quel individu méritant de s'installer confortablement dans le bonheur d'une existence aisée. Pour ce qui est du mérite, Jurgis et Ona, accompagnés de quelques autres membres de leurs familles, n'ont pas de soucis à se faire. Ils ont été élevés à la dure et ne chôment jamais. Les Etats-Unis n'ont qu'à bien se tenir.


Le désenchantement commence sitôt arrivés dans les quartiers pauvres de Chicago. Grisaille et misère se conjuguent avec l'aspect déshumanisé d'un monde industriel qui a aboli toute ressource naturelle. Les paysages verdoyants de la Lituanie semblent ne pas pouvoir trouver d'égaux, jusqu'à ce que Jurgis découvre les abattoirs, dont le système de production ingénieux rivalise avec les prodiges de la nature. L'installation est gigantesque : entièrement mécanisée, elle permet d'abattre huit à dix millions d'animaux chaque année. Pour cela, l'usine emploie trente mille personnes. Elle fait vivre directement deux cent cinquante mille personnes ; indirectement un demi-million. Ses produits submergent le marché mondial et nourrissent une trentaine de millions de personnes. Nous sommes en 1906 et les prémisses catastrophiques d'un monde industrialisé, sans âme, perdu dans les affres du bénéfice, ont déjà germé : la déchéance est imminente.


La jungle semble d'abord accueillante. Elle fournit du travail à tous nos lituaniens nouvellement arrivés et leur offre un salaire plus généreux qu'ils ne l'auraient espéré. Malheureusement, le coût de la vie aux Etats-Unis est également plus élevé que prévu. On leur promet la propriété puis on les roule en leur faisant payer des charges mensuelles et annuelles qui les éloignent sans cesse davantage de l'acquisition définitive. Les enfants doivent bientôt se mettre au travail pour permettre à la famille de subsister. Pour une journée entière de labeur, ils ramènent quelques cents, une somme dérisoire. Passe encore lorsque les parents ont du travail mais bien souvent, après la frénésie productive qui précède les fêtes de fin d'année, les usines ferment sans préavis et laissent à la rue des milliers d'employés affamés et abrutis par la fatigue. Il faut alors trouver du travail ailleurs –même si toutes les entreprises du coin appartiennent à la même famille-, vivre d'expédients, envoyer les enfants faire la manche dans la rue, grappiller quelques repas en échange d'un verre d'alcool. Très rapidement, la force vitale d'Ona et de Jurgis s'éteint. On se souvient de l'émerveillement naïf, de l'énergie intarissable et de la joie pure qui les animait encore en Lituanie. On constate que tout cela a commencé à s'éteindre après quelques mois aux Etats-Unis, avant de disparaître complètement au bout de quelques années. On comprend que la misère et la fatigue seules ne sont pas responsables de leur déchéance. le mal est plus sournois : derrière des apparences accueillantes, il désolidarise les individus, les isole dans un mur de silence et les empêche de trouver du réconfort en faisant briller sous leurs yeux des promesses de richesse et d'ascension sociale plus attirantes que l'assurance d'un foyer uni, se satisfaisant à lui-même.


Si la Jungle désigne métaphoriquement cette vie tournant autour des abattoirs de Chicago, les abattoirs constituent quant à eux la métaphore terrible de la destinée humaine :


« On dirigeait d'abord les troupeaux vers des passerelles de la largeur d'une route, qui enjambaient les parcs et par lesquelles s'écoulait un flux continuel d'animaux. A les voir se hâter vers leur sort sans se douter de rien, on éprouvait un sentiment de malaise : on eût dit un fleuve charriant la mort. Mais nos amis n'étaient pas poètes et cette scène ne leur évoquait aucune métaphore de la destinée humaine. Ils n'y voyaient qu'une organisation d'une prodigieuse efficacité. »


Les animaux aussi bien que les êtres humains sont à la merci des abattoirs. Sophistiqués comme jamais, ils émerveillent encore, alors qu'aujourd'hui ils répugneraient aussitôt. C'est que tout leur potentiel d'hypocrisie, de manipulation –pour ainsi dire de sordide- n'a pas encore été révélé. Qu'est-ce qui tue vraiment les employés des abattoirs ? Outre le travail inhumain, on soupçonne la perfidie des moyens.


La Jungle nous révèle que la déchéance moderne a déjà une longue expérience derrière elle. La pourriture de l'hyper-industrialisation que l'on connaît aujourd'hui existait déjà au début du 20e siècle aux Etats-Unis. Ce qui nous différencie des lituaniens ignorants de ce roman tient à peu de choses : eux pensaient vraiment que la société capitaliste permettrait l'épanouissement des individus tandis que nous sommes bien peu nombreux à le croire encore –mais dans les deux cas, les individus sont bernés. La tactique début du 20e siècle pour juguler le mécontentement consistait à épuiser les travailleurs, à les désolidariser, à leur faire perdre toute dignité humaine. La duperie ne pouvait cependant pas fonctionner éternellement et Upton Sinclair nous décrit la constitution progressive des forces opposantes socialistes s'unissant pour faire face aux débordements de l'entreprise Durham. Dans cette dernière partie de la Jungle, la tension rageuse accumulée tout au long du livre trouve un exutoire dans le discours et l'action politiques. Si les socialistes finissent par remporter les élections locales, la victoire reste cependant fragile : « Les élections n'ont qu'un temps. Ensuite, l'enthousiasme retombera et les gens oublieront. Mais, si vous aussi, vous oubliez, si vous vous endormez sur vos lauriers, ces suffrages que nous avons recueillis aujourd'hui, nous les perdrons et nos ennemis auront beau jeu de se rire de nous ! ».


La suite de l'histoire reste en suspens. Pendant ce temps, la Jungle sera traduite en dix-sept langues et entraînera les menaces des cartels mais aussi l'approbation de la masse populaire. Des enquêtes viendront confirmer la véracité des propos rapportés par Upton Sinclair avant que le président Theodore Roosevelt ne le reçoive à la Maison-Blanche pour entamer une série de réformes touchant l'ensemble de la vie économique du pays. La conclusion n'est pas joyeuse pour autant. Plus d'un siècle vient de passer mais le roman entre encore en écho avec la déchéance industrielle de notre époque. Certes, aux Etats-Unis ni en Europe, plus personne ne meurt d'épuisement physique, plus aucun enfant n'est exploité et tout employé peut bénéficier –en théorie- des protections sociales et sanitaires de base. Mais nous sommes-nous vraiment échappés de l'abattoir ? Il semblerait plutôt que le mal se soit déplacé –peut-être même a-t-il carrément retourné sa veste pour s'emparer de ce qui manquait alors cruellement aux personnages du roman : le confort. Les coups, les mutilations, le froid destructeur, la chaleur vectrice de maladies, les engelures, les brimades, la tuberculose, les noyades –toutes ces violences physiques faites aux corps des habitants du premier monde deviennent des métaphores vénéneuses des violences morales faites aux habitants du deuxième monde. A bien y réfléchir, notre situation est tout aussi désespérée : nous ne savons plus que nous sommes victimes car notre corps ne se désagrège plus –ou si peu- au fil des saisons. Nous ne savons pas, et nous sommes comme ces porcs que l'on conduit à l'abattoir :


« Chacun d'entre eux était un être à part entière. Il y en avait des blanc, des noirs, des bruns, des tachetés, des vieux et des jeunes. Certains étaient efflanqués, d'autres monstrueusement gros. Mais ils jouissaient tous d'une individualité, d'une volonté propre ; tous portaient un espoir, un désir dans le coeur. Ils étaient sûrs d'eux-mêmes et de leur importance. Ils étaient pleins de dignité. Ils avaient foi en eux-mêmes, ils s'étaient acquittés de leur devoir durant toute leur vie, sans se doute qu'une ombre noire planait au-dessus de leur tête et que, sur leur route, les attendait un terrible Destin. »


Le socialisme a changé la couleur des murs de l'abattoir. On aimerait pouvoir dire qu'il a oeuvré davantage mais ce n'est certainement pas le cas car la lecture de la Jungle, plus d'un siècle après sa première publication, est encore saisissante et ne laissera pas de remuer des plaintes sourdes qui signifient que le massacre ne s'est pas arrêté.
Lien : http://colimasson.over-blog...
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Hallucinant tableau de la naissance de la civilisation industrielle et de son maître, le capitalisme! Un "voyage" aux racines du mal de notre société, faisant malheureusement tristement écho dans notre époque... le roman a souvent des accents de tragédie grecque, avec ses destins écrasés...par le nouveau dieu tout puissant de l'Olympe: l'argent, et ce au mépris de toute humanité. La fin se veut optimiste, le recul fait que nous le sommes moins.Chef d'oeuvre de littérature sociale!
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Ce livre nous plonge dans l'enfer de l'industrie de la viande, dans les Etats-Unis du début du XXéme siècle. Une famille d'immigrés va déchanter en découvrant l'envers du décor du rêve américain. Ils découvrent un système capitaliste qui broie l'humain dans sa chair et son esprit.
C'est très bien écrit, la description d'une société, le Chicago laborieux des années 1920, est réaliste et vraiment prenante. Car si ce livre est un plaidoyer il nous raconte surtout l'histoire d'un homme. A la fois documentaire et romanesque.

Amateurs de romans historiques ou de récits à la Zola foncez !
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Ce livre est composé de deux tomes, « Les abattoirs de Chicago », et « Les affranchis ». (Selon les éditions, ils peuvent être rassemblés, ou, suivant la traduction, avoir un autre sous-titre)
tome 1 : Les abattoirs de Chicago
Dans le premier tome, Upton Sinclair décrit la spirale de la misère dans laquelle est entraînée une famille lituanienne, récemment immigrée aux USA. Ils arrivent à Chicago, dans une vaste zone industrielle, sale et polluée, un désert urbain. le lieu où ils vivent est un ancien marécage, devenu ensuite une décharge de détritus et de polluants. Renfloué, le site reste insalubre. Tous leurs rêves (avoir une maison à eux, élever un enfant, mettre de l'argent de côté, etc.) sont broyés par le système capitaliste, qui ne leur laisse même pas le minimum pour vivre, afin de les maintenir dans une dépendance continuelle à l'égard des patrons de la ville. Les conditions de travail aux abattoirs où travaille Jurgis sont particulièrement sordides, et l'exploitation féroce (les contremaîtres sont de vrais tyrans). Sinclair décrit pendant plusieurs pages les différents postes de travail : chargeurs de boeuf, hisseurs, arracheurs de laine, employés en salles de cuisson, aides de cuisines, ouvriers aux ateliers de boîtes de fer-blanc, aux ateliers d'engrais, etc...
Finalement, il peint de manière très poignante la lente descente aux enfers de cette famille, la pauvreté de leur condition de prolétaires faisant du moindre problème ou accident de la vie une catastrophe qui précipite leur chute dans une spirale infernale de malheur...

tome 2 : Les affranchis
Le travailleur immigré lituanien Jurgis, après que sa femme et son fils soient décédés, s'enfuit à bord d'un train de marchandise, qui va l'amener à retrouver la campagne, la nature qui l'enchante et lui rappelle sa verte Lituanie natale. Vivant comme un vagabond, au gré de menus travaux agricoles, puis de rapines, il va suivre les déplacements de centaines, de milliers de tâcherons qui trouvent à s'employer en suivant les récoltes, qui se succèdent au gré de la saison dans le pays.
L'hiver venu, il doit cependant revenir chercher du travail en ville. Il croise à nouveau la route d'un jeune cambrioleur, un peu anarchiste, et pour qui voler les riches rétablit un peu de justice sociale. Celui-ci initie Jurgis aux différents procédés de vols et d'escroqueries. Ayant intégré la “ pègre ” de Chicago, il trouvera ensuite à s'employer lors de campagnes électorales, car les politiciens véreux de Chicago utilisent les voyous pour effectuer leurs coups-fourrés. Jurgis va même devenir un “ jaune ”, lors de la grande grève des ouvriers de la viande de Chicago, avant de devenir inemployable pour les patrons et la pègre eux-mêmes.
Se retrouvant à nouveau pauvre et à la rue, c'est en s'abritant dans une salle où se tient un meeting socialiste que va se révéler à lui un nouvel avenir : la lutte ouvrière.
Upton Sinclair, à travers le personnage de Jurgis, voudrait bien montrer que le militantisme est plus grisant... que l'alcoolisme ! : “Pour le prix d'un verre de bière, on pouvait acheter cinquante exemplaires d'une brochure, les distribuer aux malheureux que l'Idée n'avait pas encore régénérés, et s'enivrer ensuite de la pensée du bien qu'on pouvait faire.”

Finalement, ce livre est très intéressant. Upton Sinclair fut accusé d'avoir déformé la réalité, afin de servir sa cause (il était militant du parti socialiste, et aux USA, cela veut dire beaucoup !). Il répondit toujours que la réalité qu'il avait décrite était malheureusement le lot de beaucoup de gens aux USA. D'ailleurs, le gouvernement US de Roosevelt réagit, en élaborant une législation sur l'abattage des animaux de boucherie... car ce qui choqua le plus, ce ne sont pas les conditions de travail des ouvriers, mais le risque sanitaire que faisait courir à la population le traitement industriel du secteur de la viande... Upton Sinclair déclara, après le triomphe de son livre à l'époque : “J'avais visé le coeur, et j'ai touché l'estomac de la nation ! ”.
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le voici enfin! le livre que nous attendions depuis tant d'années! "La Case de l'oncle Tom" de l'esclavage du salariat! L'ouvrage du camarade Sinclair, "la Jungle", et, ce que la "Case de l'oncle Tom" a fait pour les esclaves noirs, "la Jungle" a de grandes chances de le faire pour les esclaves du salariat d'aujourd'hui.
C'est essentiellement un livre actuel. (...) Il est vivant, plein de chaleur. Plein de vie, jusqu'a la brutalité. Il est écrit de la sueur, du sang, des gémissements et des larmes. Il décrit, non pas l'homme tel qu'il devrait être, mais comme il est contraint d'être dans notre monde du vingtième siècle. Il décrit notre pays, non pas tel qu'il devrait être, tel qu'il semble être dans l'imagination des orateurs éloquents célébrant l'anniversaire du 4 juillet, c'est-à-dire la patrie de l'égalité des chances; mais il le dépeint tel qu'il est en réalité, la patrie de l'oppression et de l'injustice, un cauchemar de misères, une géhenne de souffrances, un enfer pour l'homme, une jungle de bêtes féroces.
Jack London
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(...) Il y a malheureusement de bonnes raisons de croire qu'une part considérable de vérité, indéniable et facile à établir, soutient les accusations portées. La Jungle est une tragédie humaine. Ce livre a troublé dans l'ancien et le nouveau monde les digestions, et peut être les consciences du genre humain.
Winston Churchill
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C'est le premier livre que j'ai lu... lorsque j'étais ado... (houuuuu, il y a tellement longtemps que je ne saurais vous dire la date) mais... je me souviens parfaitement qu'il traite de la condition humaine dans cette Amérique que certains de mes camarades cherissaient tant... et que je ne pouvais manifestement "déjà" plus entrevoir comme un El Dorado.

Vision d'ado: mais ho combien réaliste!

A lire absolument!
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