Du bon usage des crises

Ou encore, pour prendre une autre image :
dans la roue d'un chariot emballé,
il y a un point du moyeu qui ne bouge pas.
Ce point, trouver ce point.

Et si, un seul instant, j'ai trouvé ce point, ma vie bascule
parce que la perspective est subitement celle de Job,
cette perspective agrandie de la grande vie derrière la petite vie,
l'écroulement des paravents, l'écroulement des représentations,
un instant, voir cette perspective agrandie.
.

Un pauvre vieil homme prie avec ferveur. Le rabbin à sa grande surprise s'aperçoit en s'approchant qu'il récite l'alphabet. Il s'adresse au bonhomme : "Que récites-tu là ?" Et l'autre : " Tu sais, Rabbi, je suis un pauvre homme sans grande instruction, sans grande intelligence et j'ai peur de déplaire à mon créateur. Alors je lui offre toutes les lettres de l'alphabet pour qu'il se serve lui-même et se compose la prière qu'il aimerait entendre.

Si Dieu n'écrit pas les mots des mères et des amantes dans son grand livre, c'est qu'il les grave dans le coeur des vivants et les fait circuler dans le sang de leurs veines.

Nous n'avons pas de crises, nous avons des initiations. L'initiation est la ritualisation des passages...

P 127 – contrairement à ce que nous pensons souvent, la parole n’est pas le contraire du silence, elle est la partie audible du silence. Elle est ce que sont les arbres à la forêt, la forêt est ce qu’il y a entre les arbres, et les arbres rendent visible la forêt (…). il en est de même pour les mots, les paroles. Elles rendent visible, elles rendent sensible le silence, elles le structurent. (…) cela m’a intéressée d’apprendre que quatre, au moins, des dix « non-vertus » tibétaines ont trait à la parole : le discours mensonger d’abord, puis le discours grossier, le discours qui vise à désunir ensuite, et le discours stupide pour finir figurent à côté du meurtre et du vol.

p 118 – je distingue deux univers séparés ; un silence noir, vide, inhabité ou alors hanté de nos démons, un silence d’absence et d’abandon, celui où Dieu ne répond pas – et l’autre : le silence lumineux, habité, où la dimension sacrée de l’être nous est révélée. Le bruit est l’antonyme du silence mais non pas de la parole qui en est part inhérente. La parole mensongère appartient au silence noir, la parole haute au silence clair. (…) le silence qui nous entoure ne reflète que le niveau de conscience auquel nous sommes parvenus (…). c’est à dire qu’au beau milieu du désert, je peux n’entendre que le tumulte de mes pensées, de mes rancunes, de mes obsessions. Je peux être dans un bruit incessant au milieu du désert, comme je peux être dans un silence absolu place de la Concorde à midi en n’entendant battre que mon cœur.

P 94 – un homme s’arrête devant un enfant mourant dans la rue. Il lève les yeux vers le ciel avec reproche et s’adresse à Dieu : « tu ne fais rien ! » et la voix de Dieu se fait entendre : « comment je ne fais rien ! Je t’ai fait ! ». chacun de nous est responsable de la qualité de l’amour sur cette terre.

Opaques - nous sommes opaques de tant d'identités superposées - entravés - encombrés - tous, le fruit de quiproquos divers !
L'un me prend pour sa fille, l'autre pour sa soeur, le troisième pour sa collaboratrice, etc., et dans tout cela, où est l'espace VIDE pour SA présence ?
Regardez-moi donc ! Regardez comme je suis chargée ! Toutes ces personnes installées sur mes épaules - mon papa - ma maman - mon grand-papa - ma grand-maman - mon institutrice - mon mari - mon patron...et tous si bien installés - et je ne bouge surtout pas - car ils pourraient glisser - les vieilles personnes ont les os friables !
Aussi je ne suis pas très souple de la nuque.
Mais si vous avez un moment, je peux vous montrer ce que je transporte dans les valises que vous voyez là et les porte-documents que je serre sous mes bras. Ce sont mes certificats de naissance, de vaccination, de pedigree, de naturalisation, dûment authentifiés et légalisés, mes certificats prénuptiaux, titres justificatifs et attestations diverses, contrats d'assurance et référence de tous mes employeurs.
Et avec tout ça, il faut se déplacer - vous parlez d'un déménagement ! il faut aller du point A au point B, de la naissance au trépas !

- Lève-toi ! Marche ! Debout !
- Mais je suis déjà debout !
- Non, mets-toi encore debout dans ce que tu crois être debout! Ouvre les yeux !
- Mais j’ai déjà les yeux ouverts !
- Ouvre les yeux dans les yeux que tu crois avoir ouverts ...

L'écriture est sédentaire et définitive alors que cette parole née de l'échange est nomade et fille du vent. - 9 -