La mort était inévitable. Elle rôdait partout, dans le lit d’une femme en couches, dans le berceau d’un enfant, elle suivait toute vie comme une ombre. Ceux qui sont familiers de la mort sentent l’odeur du suaire jusque dans les draps d’un bébé.
Qui peut comprendre l’âme féminine ? Même la plus angélique des femmes abrite en elle des démons, des lutins et des diablotins.
Il se déshabilla dans le salon, ne gardant sur lui que son caleçon. Il voyait son corps à moitié nu dans le miroir : la poitrine couverte de poils blancs, le gros ventre, les jambes excessivement courtes et les ongles des doigts de pied tout jaunes. Dieu soit loué, nous ne nous promenons pas nus, réfléchit-il. Aucun animal n’est aussi laid que sapiens…
« Attendez un peu, disait-elle, il me reviendra. Cette créature n’en voulait pas, elle n’en avait qu’après son argent. Elle va tout lui manger et le laisser sans rien. » « Et vous reprendriez un misérable pareil ? » demandaient les gens. À quoi elle répondait : « Qu’il revienne d’abord. Je lui laverai les pieds et boirai l’eau de la cuvette après. » Il lui restait une vieille malle qu’elle remplissait peu à peu de linge et de vêtements, comme une fiancée qui prépare son trousseau. « Ce sera ma dot, prête pour son retour, se vantait-elle. Je l’épouserai une deuxième fois. » Aujourd’hui, on appellerait ça de l’amour. Nous, nous disions qu’elle était complètement folle.
Le ciel et la terre conspirent pour que tout ce qui a été soit exhumé, puis réduit en poussière. Seuls les rêveurs éveillés font revenir les ombres du passé en nouant ensemble des fils invisibles.
Le Dr Margolis se souvint d'une formule de Shopenhauer : la femme à l'aspect et la mentalité d'un enfant. Si elle mûrit intellectuellement, son visage devient celui d'un homme.
Le DrNahum Fischelson marchait de long en large dans sa mansarde de la rue du marché à Varsovie. Il était petit, bossu, la barbe grisonnante et le crâne presque chauve à l'exception de quelques touffes de cheveux qui lui restaient sur la nuque. Il avait le nez crochu et de grands yeux noirs papillotant comme ceux d'un oiseau. Le Dr Fischelson portait une veste noire qui tombait jusqu'aux genoux, un col raide et une large cravate. Il arpentait la pièce à pas lents, de la porte au vasistas et vice-versa. Pour pouvoir regarder dehors, il fallait grimper quelques marches. Une chandelle brûlait sur la table dans son chandelier de cuivre et une foule d'insectes bourdonnaient autour de la flamme. De temps à autre, l'une de ces créatures s'en approchait trop et se consumait en une seconde directement sur la mèche. A chaque fois, le docteur faisait la grimace. Son visage ridé se crispait et il se mordait les lèvres sous sa moustache ébouriffée. Au bout d'un moment, il tira son mouchoir de sa poche et l'agita en direction des moucherons. "Allez-vous-en, bande d'imbéciles, gronda-t-il. Au lieu de vous réchauffer, vous ne réussirez qu'à vous brûler !"
Seuls les rêveurs éveillés font revenir les ombres du passé en nouant ensemble des fils invisibles.
Mais un jour, la lumière qui éclairait l’univers s’éteindrait. Les étoiles ne brilleraient plus. Les voix se tairaient. Toute vie a la surface disparaîtrait. Dieu et Satan s’uniraient pour ne plus être qu’un. Le souvenir de l’homme et de ses crimes ne serait plus qu’un mauvais rêve inventé par Dieu pour se distraire au fond de sa nuit éternelle.
Mais à quoi bon tous ces rêves ? Ils l'épuisaient tout en avivant son sentiment d'impuissance.