Indélébile

Elle était dans une rage folle d'avoir été violée, et elle était blême à l'idée que l'animal qui l'avait agressé puisse être, et soit probablement, libéré de prison d'ici quelques années pour bonne conduite. Elle était dégoûtée que sa vie tout entière en ait été chamboulée, qu'elle ait dû démissionner de son poste d'interne au Grady Hospital, le boulot vers lequel elle avait orienté toute sa vie, parce que tout le monde, aux Urgences, la traitait comme une poupée de porcelaine brisée.

« C’est le pelvis qui raconte tout. Les os de la région pubienne se réunissent devant le pelvis. Si la surface osseuse présente des protubérances et des arêtes, cela signifie qu’elle appartient à un individu jeune. Les individus plus âgés ont des os plus lisses. »

Il la considérait comme ces femmes qu’elle détestait croiser, en tant que flic. C’était chez ces femmes-là qu’elle débarquait, quand leur amoureux pétait les plombs, et elles suppliaient, elles pleuraient pour qu’on ne foute pas ce salopard en taule. Il y avait quelque chose chez ces femmes, dans leur manière d’être et de considérer le monde, comme une envie de se faire encore tabasser, comme si elles n’attendaient que ça. Et elles dégageaient un parfum propre à attirer le genre de type qui aimait frapper les femmes.

Le mariage était un drôle d’oiseau qui avait de quoi vous laisser perplexe, toujours changeant, parfois gentil, d’autres fois méchant. Quand Jeffrey était flic de terrain, il détestait les appels concernant les querelles domestiques, parce qu’il subsistait toujours quelque chose, un lien indéfinissable qui rattachait un époux à sa femme et transformait leur désir de s’entre-tuer en désir de tuer quiconque s’interposait, en l’occurrence les flics. Ils pouvaient fort bien se hurler dessus, se traiter de tous les noms d’oiseaux possibles et, une minute après, se jeter devant la voiture de patrouille pour interdire qu’on emmène l’époux, ou l’épouse, en prison.

— Quel genre de panade ?
— Oh, rien de bien méchant quand on considère un peu les bêtises que les gamins peuvent commettre aujourd’hui. Voler des machins au bazar, emprunter la voiture de maman quand elle était dans les vapes sur son canapé. Le même genre de conneries que son père avait pu faire avant lui, à cet âge. Là, je vous parle de quand il avait dix ou douze ans. Vous allez finir, ça ? »

Il avait envie de mériter leur adoubement. Il avait envie que les gens le considèrent comme un bon garçon, le genre de type issu d’une bonne famille de la petite-bourgeoisie, très croyante et qui se situait toujours du bon côté de la loi.

Malgré son aveu un peu stupide de la nuit précédente, il ne savait pas trop, au juste, ce qu’il éprouvait pour Sara. Elle avait plus ou moins réussi à lui entrer dans la peau, et s’il l’avait invitée à descendre en Floride, c’était en partie dans l’espoir de parvenir, à force de la baiser, à se l’extraire du corps une bonne fois pour toutes. En temps normal, les femmes avec lesquelles il sortait se mettaient en quatre pour lui faire plaisir, ce qui devenait en général de l’histoire ancienne au bout de quelques mois à peine, et lui fournissait un bon prétexte pour passer à la suivante. Sara n’était pas comme ça. En surface, elle était le genre de femme avec qui il avait toujours cru pouvoir faire sa vie : une parfaite combinaison de sexualité épanouie et de confiance en soi, qui lui interdirait de s’ennuyer.

Elle détestait l’idée d’avoir besoin des gens, presque autant qu’elle détestait avoir à leur tendre la main. En fin de compte, elle éteignit le téléphone et le reglissa dans sa poche.

Elle était dans une rage folle d’avoir été violée, et elle était blême à l’idée que l’animal qui l’avait agressée puisse être, et soit probablement, libéré de prison d’ici quelques années pour bonne conduite. Elle était dégoûtée que sa vie tout entière en ait été chamboulée, qu’elle ait dû démissionner de son poste d’interne au Grady Hospital, le boulot vers lequel elle avait orienté toute sa vie, parce que tout le monde, aux Urgences, la traitait comme une porcelaine de Chine brisée.

« Je suis fatiguée d’être la fille la plus intelligente de la classe. Je suis fatiguée d’être trop grande pour les garçons les plus mignons. Je suis fatiguée de sortir avec des types qui se préoccupent de ce que je ressens et qui veulent aller doucement et qui veulent être gentils et maillot de bain.