Pour elle, aimer c’était aussi souffrir. Même si par ailleurs, l’amour atténuait ou réduisait son mal de vivre et sa peur de la mort. Aimer pour Amandine c’était enfin tout perdre. Que lui resterait-il, pensa-t-elle, si ce n’est des souvenirs et quelques bleus à l’âme, douceur amère d’un amour perdu. Depuis sa naissance, la vie peu à peu l’abandonnait. L’ADN de ses cellules programmait sa mort irrémédiablement sans qu’elle puisse rien y changer. Pourquoi, alors, cette illusion d’éternité qui vivait en elle ? Pensait-elle souvent. « Pourquoi tant de peines ? » , se demanda-t-elle encore. Chimères de nos pensées. Chimère d’amour. Était-ce pour continuer de croire qu’elle s’obstinait à vivre ? Croire n’était peut-être qu’un désespoir, une tentative désespérée pour se survivre. Pourquoi souffrait-elle parfois de ce qui n’existait que dans son cœur et dans sa tête ? L’amour n’était qu’une abstraction du réel opéré par sa propre pensée. Et cette peur immense de ne plus être aimé. Peur de ce qui finalement se produirait inéluctablement : La solitude devant la mort. La solitude lui semblait moins cruelle dans l’amour. L’amour qu’elle pensait donner, celui qu’elle croyait recevoir en échange, enfin, pas toujours.
« Aimer ! Mais qu’est-ce que l’amour ? » , s’interrogea soudain Amandine. « La rencontre de deux corps qui s’attirent et échangent un peu de leur fantaisie. Oui, sans doute » , se dit-elle. « Mais à quoi ça sert d’aimer, pourquoi cette attirance, ce désir du contact de la peau de l’autre ? » Bien sûr Amandine connaissait ce désir qui nous donne envie d’aimer et qui nous fait mourir, parfois. Tristement, elle pensa aux hommes qui avaient traversé sa vie. Elle se demandait si ce n’était que le hasard d’une alchimie secrète, d’une configuration biochimique qui naît et meurt avec les phéromones, une prédestination de l’espèce, conditionnée par une multitude de paramètres, héritage de l’éducation, de l’expérience issue de la rencontre de deux âmes.
L’intelligence se développe au fur et à mesure de la fragmentation de notre essence, c’est une des raisons pour laquelle l’humanité ne cesse d’évoluer. Il est probable que les entités que nous avons créées pour ramener ceux qui étaient prisonniers sur terre soient elles-mêmes dans une phase de développement où notre essence leur est indispensable pour évoluer. Si elles parvenaient à leur fin, la fragmentation se démultiplierait dans des proportions tellement grandes que nous perdrions irrémédiablement notre capacité à nous rassembler. Notre chute serait alors éternelle, plus rien ne pourrait nous ramener à notre état antérieur.
Nous pouvons tout accepter et prendre la vie comme elle se présente à nous, mais nous avons le pouvoir d’en changer le cours. C’est comme ça que certains hommes ont fait de grandes découvertes, c’est probablement ce qui nous a fait émerger de notre animalité. Seulement pour y parvenir, il est nécessaire de se connaître soi-même, savoir qui on est, comment on fonctionne, comment on réagit devant les événements qui se produisent, être conscient des dynamiques qu’on met en place dans notre relation aux autres. Tout ça est très complexe, j’en conviens, mais c’est ça, être libre, mon ami.
Le suicide n’est pas comme on le croit souvent, une vague d’intentions morbides, mais un élan d’espérances qui étouffe, une volonté de vivre qui ne trouve plus de chemin où s’exprimer et s’épanouir. C’est un désir puissant de vivre autre chose, de se libérer du carcan dans lequel le système enferme l’individu et le brise. C’est un cri d’espoir et non l’inverse, il dit l’impossibilité d’exister dans une société élitiste où chacun est condamné à n’être qu’un outil au service d’une entité abstraite derrière laquelle se cachent les nantis du système libéral.