Comme j'avais de la peine de penser à sa jeunesse (dix-huit ans, d'après Eustaquio), brisée prématurément, de façon rimbaldienne. "Et il ne sera même pas immortel après sa mort", me lamentais-je, car l'époque où la disparition d'un poète assurait sa pérennité était révolue. Au contraire, aujourd'hui les poètes s'accrochaient à la vie avec toute la fureur d'une vieillesse prolongée.
Quelle coïncidence. Les coïncidences sont comme l'amour et la littérature, aussi absurdes et insensées. Les coïncidences sont le roman de Dieu, qui est aussi écrivain, comme tout le monde.
Les personnages vivent leur propre vie une fois créés.
La vie est parfois ainsi, tellement opposée à nos intentions.
La beauté, je m'en apercevais maintenant, ne peut être décrite : il faut l'inventer.
Ecrire est un travail de sorciers, une alchimie secrète. J'allais démontrer à Salmerón, à Neirs, à tous, que le papier et la plume étaient capables de tout. Et qu'un livre pouvait devenir un être humain.
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Là, au sombre balcon de ses longs sourcils, je vis se pencher la peur.
La clinique était un pigeonnier de papiers sans dessus dessous. Mon identité et ma santé étaient écrites sur plusieurs d'entre eux et les médecins avaient l'habitude de les interroger eux plutôt que moi. "Comment se sent-il aujourd'hui?" leur demandait le docteur de garde -même s'il feignait de me poser la question- et mes papiers répondaient par ma pression artérielle ou le compte rendu d'une radiographie. Peu importait la réponse : ils étaient beaucoup plus sincères ou exacts.
Pensez, par exemple, à un livre.Le rabat nous parle de l'auteur et du genre d'oeuvre qu'il a créée. Parfois, nous trouvons même un bref résumé du théme. Nous savons ainsi si nous aloons lire un roman, un essai, un texte scientifique ou une autobiographie, et nous nous préparons à apprécier les différentes lectures. Si le rabat dit "roman", nous espèrons qu'il nous distraie, mais nous ne nous attendons pas à connaître la vie de l'auteur, ce serait autre chose s'il disait "autobiographie", vous comprenez ?
[...] la littérature est le meilleur ALIBI que nous ayons inventé pour le MENSONGE. Il n'y a rien de plus INUTILE, VIDE et FICTIF qu'écrire... Par le simple fait de figurer dans ce paragraphe précédée d'un tiret, vous ÊTES DÉJÀ MORTE!...
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