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Critique de AMR_La_Pirate


On entre immédiatement dans ce roman policier fantastique de Somoza… ou plus exactement dans les cauchemars de Salomón Rulfo, professeur de lettres au chômage passionné de poésie, qui réalise bien vite avec l'aide bienveillante de son médecin, le Dr Ballesteros, que son terrible monde onirique interfère avec la réalité. Et il est dangereux de s'intéresser de trop près aux choses étranges, même pour un poète.
Parmi les autres personnages, nous trouvons une prostituée hongroise, Raquel, et son proxénète, Patricio, un vieux professeur exalté, César Sauceda, et sa jeune compagne Suzana qui fut autrefois la maîtresse de Salomón, des morts qui réapparaissent et treize dames aux terribles pouvoirs surnaturels. Il y a aussi le livre d'un professeur autrichien, Rauschen, qui développe une théorie sur une secte dont le but serait d'inspirer les grands poètes et qui aurait déjà exercé ses talents auprès de Virgile, Pétrarque, Shakespeare, Dante, Milton, Keats, William Blake, Hölderlin, Góngora, Emily Dickinson ou encore Borges… pour n'en citer que quelques uns ; chaque lecteur retrouvera des poètes connus, aimés ou pas et en découvrira aussi. Enfin, je n'oublie pas le phylactère et son contenu, les mystérieux tatouages, les meurtres, les cadavres mutilés, les pressions et chantages, les tortures physiques et psychologiques… tous les ingrédients du thriller sont bien sûr réunis. Mais, avec Somoza, vous vous doutez bien que ce livre n'est pas un bon policier fantastique…

Somoza nous entraine en réalité dans les mystères de l'inspiration et de la création poétique, dans une intrigue où « la véritable poésie est de l'horreur pure » et où les muses ne se contentent pas de donner aux artistes « le halo créatif nécessaire ». L'auteur interroge le « pouvoir occulte du langage », le rapport entre les mots et la réalité et se penche sur l'écriture et l'oralité poétique, moyens de transmissions mystérieux, immémoriaux et secrets.
Somoza a recours à Dante et à L'enfer de la divine Comédie, reprenant à son compte les problématiques du poète médiéval : comment comprendre le mal ? Montrer le supplice ? Dire l'indicible ?... : « laissez toute espérance vous qui entrez / lasciate ogni speranza voi ch'entrate» ; cet avertissement ne s'adresse pas qu'aux personnages ! Lecteurs, vous voilà prévenus... en outre, le roman a pour épigraphe une citation du Chant IX qui évoque la terreur du poète devant les remparts de Dité, la cité dolente, et l'apparition des Furies et qui met le lecteur en garde face aux sens allégoriques et aux interprétations possibles.
Somoza cite aussi le chant V de l'Enfer, où le vent noir châtie les luxurieux ; ce chant évoque aussi les pouvoirs de la littérature et une possible porosité entre la lecture et la vie réelle. La question de la punition ou contrapasso, le rapport entre la peine et le crime, calque ou rapport analogique, est omniprésente dans l'oeuvre de Dante qui lui donne un sens de châtiment infernal : Dante a la capacité de nommer le mal et de le punir. Je n'irai pas plus loin dans l'analyse du recours à Dante et à sa Béatrice car il faut que vous lisiez ce roman et y trouviez peut-être encore d'autres clés de lecture…, les votres.
Somoza cite aussi le Paradis Perdu de Milton, grand poème narratif « poésie étrange qui décrit Satan avec une certaine bienveillance et Dieu comme une créature vengeresse » ; le roman donne, par exemple, une étrange explication de la cécité de Milton.

On ne sort pas tout à fait indemne de ce roman surtout si on est aussi amateur de poésie. Dans La Dame n° 13, la poésie est devenue une forme de torture et une arme de destruction ; à travers la poésie c'est tout le logos que Somoza convoque ici, avec les personnages des dames, c'est-à-dire tous les éléments du discours et de la parole, les mots, les phrases, la syntaxe, la prosodie, la phonétique… etc. : « le logos de l'univers leur donne raison, parce que l'univers, ce sont des paroles. Un long poème ».
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