A force de redouter le pire ne l’invoque-t-on pas ?
Il est entendu que vivre c'est réduire peu à peu les possibilités mêmes de la vie mais il est bien tot pour Ninon, il est bien tôt pour perdre l'habitude insouciante, presque inconsciente, d'être parfaitement vivante.
Ninon se souvient qu’au plus fort de la douleur elle aurait imploré un chirurgien de lui couper les bras, de la débarrasser de cette insupportable présence organique ; aujourd’hui elle entend les brandir à la face du monde, afficher son corps tragique.
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Se peut-il que la maladie se soit tarie d’elle-même ? Comme si sa présence dans le corps, ces tensions, ces brûlures, cet envers noir, cette agitation sourde s’étaient finalement épuisés, comme si le mal avait jailli telle la lave d’un volcan avant de s’éteindre naturellement, flux et reflux, éruption et refroidissement.
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On dit qu’il faut y croire pour que la magie noire opère mais n’est-ce pas à force d’accomplir les rituels religieux que l’on finit par avoir la foi ?
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L’histoire de cette famille frappée par le mauvais sort peut-être celle d’une angoisse renouvelée à chaque génération. Les regards soucieux de tous ces pères soulevant leur nouveau-née – leur fille aînée – n’étaient-ils pas des regards maléfiques qui engendreraient la maladie, qui la désiraient à force de la redouter, de l’attendre, de la traquer ?
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Nous sommes des sacs de peau, des outres qui maintiennent et unifient tout ce qui nous constitue – os, organes, sang, cerveau, donc psychisme.
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La maladie fonctionnelle a ceci de frustrant qu’elle laisse médecin et patient bras ballants et le plus souvent contrariés, voire agacés, bien que rassurés. Le médecin ne peut pas soigner, le patient n’est pas vraiment malade.
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Ninon tire les rideaux en plein jour, ferme la porte à clé, pieds nus sur la moquette, volume au maximum, pousse les basses, ça pulse dans sa poitrine, reconfigure les circuits nerveux, opère de nouveaux branchements, déroute la souffrance, la colère, et souvent les larmes.
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Peut-on seulement maîtriser la douleur en la nommant petit à petit ? Envelopper une aura de douleur d’une aura de mots ? Faire coïncider leurs contours respectifs ?
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