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Citations sur Le pauvre coeur des hommes (19)

Chaque été quand je revenais au pays, et que je restais assis, immobile, au milieu des cigales à la voix brûlante, souvent, une étrange tristesse me saisissait. Cette tristesse, il semblait qu'elle entrât dans mon cœur avec la voix même, si douloureusement aiguë, des cigales : et je me figeais alors dans une longue immobilité, contemplant seulement, solitaire, ma solitude intérieure. Mais cet été-ci, petit à petit depuis mon retour, ma tristesse avait changé de nuance. Et tout comme le cri de la cigale commune avait fait place au cri de la petite cigale, ainsi je sentais, autour de moi, la destinée de ceux qui m'étaient chers entraînée insensiblement dans une immense métamorphose...
Je songeais sans fin à la tristesse du père, à son attitude, à ses paroles. Je songeais à ma lettre au Maître, restée sans réponse. Le Maître et le père représentaient à mes yeux des caractères opposés : c'est pourquoi, rapprochements ou contrastes, mon esprit eût difficilement séparé leurs deux images.
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Le lendemain, à la suite du Maître, je sautai dans la mer. Puis je me mis à nager dans la même direction que lui. Comme nous avions à peu près fait deux-cents mètres vers le large, le Maître se retourna vers moi et m'adressa la parole. Immense et bleue, s'étalait la mer. Rien ne flottait aux environs, hors nous deux. Et la forte lumière du soleil, aussi loin que les yeux portaient, illuminait l'eau et les montagnes. La liberté, la joie emplissaient ma chair, que je faisais mouvoir dans la mer en une danse folle. Le Maître cependant arrêta ses mouvements, se mit sur le dos et fit la planche sur les vagues. Je l'imitai. Le coloris du ciel bleu miroitait jusqu'à entrer dans les yeux à la manière d'une flèche, et je sentais à mon visage les violentes couleurs qu'il me jetait :
- Qu'on est bien, n'est-ce pas ! criai-je à pleine voix.
Peu après, semblant se dresser sur la mer, le Maître changea de position :
- Ne rentrons-nous pas ? me proposa-t-il.
J'étais de nature assez résistante, et j'aurais pu sur la mer prolonger mes ébats. Mais dès que le Maître m'eût exprimé son désir :
- Bien sûr, dis-je de bonne grâce, bien sûr, rentrons !
Et tous les deux, par le même chemin, nous retournâmes vers la plage.
C'est de ce jour-là que je fus lié avec le Maître. Mais où habitait le Maître, je l'ignorais encore.
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Vous êtes trop d'une pièce pour qu'on puisse douter de vous. Avant de mourir, en un seul être, ne fut-ce qu'en un seul, je voudrais pouvoir croire. Croire, et puis mourir. Vous sentez-vous capable de devenir pour moi cet être unique ? Y consentez-vous ? Bref, êtes-vous sincère, du plus profond de votre coeur ?
- Aussi vrai que je prends la vie au sérieux, aussi vrai mes paroles sont sincères !
Ma voix tremblait.
-Bien, dit le Maître. Je vais donc vous parler ; pour vous, je vais dévoiler mon passé. Simplement, en retour... Non, au fait, c'est inutile... Au reste, mon passé n'est peut-être pas pour vous d'une telle valeur... Non, je ne peux pas... Non, pour le moment je ne peux pas parler, sachez-le ! Tant que l'heure ne sera pas venue, je ne veux pas parler. C'est ainsi !
Bien après mon retour à la pension, je sentais encore en moi comme une angoisse.
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L'inquiétude me venait, mais aussi le courage. Tous les jours, devant ma table, je travaillais tant que j'avais de force. Ou bien, dans l'ombre de la bibliothèque, je scrutais les hauts rayons : comme le collectionneur les curiosités, je fouillais des yeux les titres dorés des reliures.
Les pruniers étaient en fleurs ; le vent froid tournait peu à peu au vent du sud, et, quelques semaines passant, me vinrent aux oreilles les premières nouvelles de la floraison des cerisiers. N'importe : tel un cheval de fiacre, je gardais les yeux fixés droits devant moi, la pensée du mémoire me fouettant. La fin avril approchait. Mais, tant que je n'en aurais pas eu fini avec cette rédaction, je m'étais interdit de repasser le seuil du Maître.
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...mais, quelques critiques qu'on puisse faire de mes opinions, une chose est sure : c'est que je les ai vécues. Ce ne sont pas là, destinés à satisfaire un besoin momentané, des vêtements d'occasion.
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La seule chose profonde que j'ai sentie, c'est le peche qui est sur l'homme. C'est ce sentiment qui m'avait fait soigner de tout mon coeur ma belle-mere malade. C'est ce sentiment qui m'avait commande d'etre doux envers ma femme. C'est ce sentiment toujours qui me faisait souhaiter d'etre cravache dans la rue par chacun des inconnus que j'y croisais. Et, a monter marche par marche l'escalier de cette expiation, c'est ce meme sentiment qui me poussait, non content d'appeler la cravache des autres, a desirer me cravacher moi-meme. Et, plus encore qu'a desirer me cravacher moi-meme, a desirer me detruire moi-meme. J'hesitais a me detruire d'un coup. Mais, du moins, je decidai de vivre comme si j'eusse ete mort.
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- Qui de nous deux mourra le premier ? avait demandé le Maître à sa femme.
Cette question du Maître me revenait aux lèvres. Et personne, certes, n'y pouvait répondre à coup sûr. Mais à supposer qu'on pût savoir clairement qui du Maître ou de sa femme devait mourir le premier, quel serait le comportement du Maître ? Ou quel serait le comportement de sa femme ? Bah, que ce fût le Maître ou que ce fût sa femme, qu'eussent-ils pu faire, l'un ou l'autre, si ce n'est se résigner à l'inévitable ? Aussi bien, à l'approche de la mort de mon père, que pouvais-je faire moi-même, sinon me résigner ? A quel point l'homme était pauvre chose, je l'éprouvai alors profondément. Et que l'homme, quoi qu'il fasse, est impuissant contre cette naturelle impuissance, voilà précisément ce qui faisait de l'homme une si pauvre chose.
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A n'en pas douter, l'attitude du Maître était une attitude vivante. Lorsque le feu l'a consumée, il ne reste d'une maison en pierres qu'une enceinte refroidie : tel n'était pas le cas du Maître. Certes, à mes yeux, le Maître était un penseur. Mais cette pensée n'était qu'une face, et comportait un revers : le revers d'une forte réalité, profondément entremêlée, il me semblait, à l'apparente pensée. Non une réalité extérieure, nettement séparée du moi ; mais une réalité puissamment ressentie par le moi lui-même, une réalité ramassée sur soi et capable aussi bien de faire bouillonner le sang que d'en arrêter les pulsations.
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– Oui, ma femme me comprend mal. C’est ce que je lui expliquais, et c’est ce qu’elle ne veut pas admettre. À la fin, je me suis fâché tout net !
– Mais en quoi, Maître, votre femme ne peut-elle vous comprendre ?
Le Maître ne répondit pas directement à cette question.
– Si j’étais l’homme que ma femme pense, dit-il, je ne serais pas capable de souffrir ainsi !
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Quand je dis que je n’ai pas confiance, ce n’est pas à dire que je me méfie spécialement de vous. C’est de l’humanité tout entière que j’ai méfiance.
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