Il faut beaucoup d'air dans les poumons ce matin là. Souffler sur un bonheur qui ne veut pas s'éteindre. En éparpiller les braises. Ce n'est pas si facile, le mal.
La lecture est ma planche de salut. S'abîmer dans une tâche, aussi modeste soit-elle, lorsqu'on est en plein orage, est une manière non seulement de tenir la peur à distance mais aussi de conserver sa dignité. Ce pourrait être éplucher des légumes, ravauder, réparer une serrure, confectionner une caisse en bois. Il se trouve que pour moi, c'est lire.
Être une cible change profondément sa manière de voir les choses. Ramener son espérance de vie au temps qu'un obus met à venir vers soi rend attentif. Intuitif.
l'essentiel du travail de désinformation, ce sont ses propres victimes qui le réalisent.
Je commence à déchirer les pages, verso tourné vers moi. En morceaux de plus en plus petits jusqu'à atteindre la taille de grands confettis sur lesquels les phrases brouillées n'ont plus de sens. La question se pose alors de savoir si le texte ainsi haché reste un texte. Je veux dire dans ses intentions, ses interprétations. Ses pouvoirs.
C’est étrange cette manière d’être pénétrée par des sons qui génèrent en soi des images effrayantes.
Et puis, je partirai. M’enfuir. M’enfouir.
Les idées s’effacent vite devant la réalité.
Je pense à mon vélo resté dans le wagon. A la mort qui, pour cette fois, n'a pas voulu de moi. Aux gamins. A leur grand-mère dans le wagon déchiqueté, assignée à sa place pour l'éternité. Et pardessus tout, la jubilation immonde au milieu de tous ces morts d'être encore en vie.
Charles vient des studios Disney. Il est l’un des pionniers du procédé d’enregistrement multipiste. Il a décidé que son expertise dans la sonorisation des dessins animés serait utile à la constitution d’une sonothèque de guerre.
— Je constitue un stock de bruits : chenilles d’un Sherman sur une route asphaltée, ou pierreuse. Ou encore boueuse. Changement de vitesse au moment du franchissement d’un obstacle. Rassemblement d’une centaine de chars dans une clairière. Batterie de DCA en action. Ambiance d’un campement, le jour, la nuit. Selon qu’il neige, vente ou pleuve, car les sons ne se propagent pas de la même manière…
Ted l’a interrompu :
— Et alors ?
Charles nous a dévisagés.
— La guerre Walt Disney… Nous menons la guerre Walt Disney, les amis. C’est Fantasia chez les Krauts.