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Critique de Bdotaku


La première fois que j'ai entendu parler de Viviane Maier c'est dans le roman de David Foenkinos : « le Mystère Henri Pick » (2017). Et il est vrai que le destin de cette photographe de rue majeure, nanny de son vivant, dont l'oeuvre artistique fut découverte par hasard après sa mort est éminemment romanesque ! Deux romans lui ont été depuis dédiés : « Une vie empruntée » (une vida prestada) en 2018 de Berta Vias Mahou - non traduit en français pour l'instant- et « Une femme en contre-jour » de Gaëlle Josse en 2019. Nulle surprise donc qu'un roman graphique lui soit également consacré par la toute jeune autrice Franco brésilienne Paulina Spucches. « Vivian Maier, à la surface d'un miroir » a été publié aux éditions Steinkis et est sorti peu avant la grande exposition consacrée à la photographe au Luxembourg.

UN COUP DE FOUDRE

L'autrice raconte dans sa postface comment, à 19 ans, en 2019 alors qu'elle s'apprêtait à entrer dans sa dernière année de diplôme de métiers d'Art, elle découvrit lors d'une balade au centre culturel de San Sebastian le travail de Vivian Maier. Enthousiasmée par ces clichés, elle en fait le sujet de son travail de fin d'études (obtenu avec les félicitations du jury en 2020) et crée ainsi sa première bande dessinée parce que « instantanément [elle] souhait[a] mettre en images les histoires qui sembl[aient] se dégager de chacun de ses clichés ».

Paulina a ainsi conçu son roman graphique à partir des photos de Vivian Maier. Elle a sélectionné une vingtaine de photos plus ou moins connues, les a reproduites en dessin et a imaginé dans quel contexte elles avaient été prises créant ainsi de petites saynètes.

ENTRE BIOGRAPHIE ET FICTION

Ce procédé est très original et l'on passe très vite de la biographie à la fiction. Comme la vie de Vivian Maier, malgré les recherches de John Maloof (voir le documentaire « Finding Vivian Maier ») et l'enquête d'Ann MarksVivian Maier révélée »), reste emplie de zones d'ombres et lacunaire, Paulina Spucches a choisi de fictionnaliser sa biographie et de ne pas en faire un ouvrage de vulgarisation chronologique, ennuyeux et académique.
Est-ce la raison pour laquelle il n'a pas reçu l'approbation de la succession de Vivian Maier, ni de la collection John Maloof ou de la galerie Howard Greenberg, les gardiens du temple ? Ne vaut-il pas cependant mieux respecter l'esprit et non la lettre en mêlant l'art et la vie de cette artiste qui vécut toute sa vie pour son art et en restituant dans cette composition aussi morcelée que ses autoportraits une vision de ce qu'elle fut ?

Nulle hagiographie dans ce roman graphique : Vivian est présentée sous des traits assez hommasse (peut-être même davantage que dans la réalité), toujours cachée derrière des vêtements amples et son chapeau avec des manières rudes voire frustres envers ses employeurs ou les commerçants. Spucches montre comment elle a vécu seule, a voyagé, était une femme indépendante .

Le récit est très peu prolixe à l'image de son héroïne éponyme. Il en devient parfois énigmatique pour ceux qui ne connaissent rien de la vie de la photographe mais une chronologie bienvenue se trouve en fin d'ouvrage. Il dresse cependant dans ce puzzle de chapitres naissant des clichés choisis (toujours datés) ainsi que dans le va et vient entre passé et présent, le Champsaur français, New York et Chicago, un portrait en creux de cette femme paradoxale qui ne correspondait pas aux canons de la femme au foyer des années 50. On perçoit toute l'admiration que lui voue la jeune dessinatrice.

UNE HISTOIRE DE TRANSMISSION

Trois femmes, trois générations, sont au centre de l'histoire : Jeanne Bertrand tout d'abord l'exilée française photographe de studio qui initia Vivian et sa mère au 3e art, Gwen l'une des fillettes que garda la jeune femme et Vivian Maier bien sûr. Mais il faudrait également y ajouter l'autrice elle-même. Ainsi le sous-titre « à la surface d'un miroir » pourrait être compris à l'aune De Stendhal qui déclarait « le livre c'est un miroir qu'on promène le long du chemin ». Ainsi, si Vivian était férue d'autoportraits aux miroirs (une exposition toute entière a même été consacrée à ce thème privilégié de l'artiste à Grenoble en 2019), ici la Bd -en la plaçant en pleine lumière- la révèle également.

Si la photographe est principalement connue pour ses clichés noir et blanc, Paulina Spuchess choisit là encore de s'éloigner de la doxa et utilise des couleurs franches proches du fauvisme dans un dessin lumineux à la gouache et à l'aquarelle jeté et dansant. Il évoque à la fois le travail en couleur de Maier dans les années 1970 quand elle troquera son Rolleiflex pour un Leica mais aussi les films flamboyants en technicolor de l'époque.
Ces couleurs pop et le trait rond et doux permettent, en outre, sans édulcoration aucune, d'adoucir le côté âpre de la vie de l'artiste et de lui rendre hommage sans la recopier simplement. D'ailleurs, seul bémol à mon avis dans cet ouvrage remarquable, il aurait été sans doute judicieux afin que l'on puisse pleinement percevoir et apprécier cette « appropriation » d'une artiste par une autre, de placer à la fin de l'album des reproductions des clichés cités car tous ne nous sont pas familiers.

L'éditeur Steinkis utilise comme mot de la fin une citation d'Isaac Newton « Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts », Paulina Spucches illustre parfaitement cette belle ligne éditoriale en réalisant ici - à travers son interprétation de l'oeuvre et de la vie de Vivian Maier - un remarquable « pont des arts ». On assiste à un beau dialogue entre deux arts et même deux âmes qui nous donne envie de découvrir les prochains « récits empreints de curiosité, d'engagement et de sensibilité »( postface) de cette « petite » qui a déjà tout d'une grande !
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