AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Édouard Dentu (Préfacier, etc.)
310 pages
Dentu Éditeur (12/11/1885)
4/5   1 notes
Résumé :
Sous-titré : "Le Tribut des Vierges de la Moderne Babylone".
Première traduction française "littérale" et non-censurée de la série d'articles à scandales sur le trafic de jeunes filles vierges à Londres, publiés à l'été 1885 par le journal anglais Pall Mall Gazette, et rédigés par le rédacteur-en-chef William Thomas Stead, suite à une fausse enquête prétendument réalisée par ce dernier dans les bas-fonds londoniens.
Cette traduction française, entièrem... >Voir plus
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Petit journaliste anglais besogneux et sans envergure, fils de pasteur probablement marqué par une éducation rigide et perverse, William Thomas Stead passa d'une renommée discrète à une célébrité polémique en 1885, année durant laquelle, après déjà plus d'une décennie à gratter des faits divers dans des journaux de province, il créa une nouvelle sorte de journalisme, au sein de la « Pall Mall Gazette », journal londonien du soir dont il devint le rédacteur-en-chef adjoint.
William Thomas Stead inventa à la fois le journalisme à sensation, et l'enquête bidonnée. En ce sens, il installa la base d'une presse réactionnaire et puritaine, fondamentalement malsaine, qui allait accoucher d'un journalisme minable, racoleur, délateur, et diffamatoire, comme l'inexpugnable « The Sun » en Angleterre, ou, dans une moindre mesure, à l'image de publications comme « le Nouveau Détective » ou « Mediapart » en France.
C'est à travers une série d'articles intitulée « The Maiden Tribute To The Modern Babylon », série qui fut censurée par le gouvernement après seulement 4 jours de publication, que William Thomas Stead déclencha un scandale sans précédent, qui manqua de peu de le perdre lui-même. Clamant son innocence, en dépit des faits qui l'accablaient, Stead publia en volume, avant son arrestation, l'intégralité de sa série d'articles plus un long panégyrique mégalomane sur son propre chemin de croix en tant que journaliste prétendument moraliste.
Ce témoignage a été traduit en français en 2013, sous le titre hautement racoleur de « Pucelles À Vendre : Londres 1885 » par Alma Editeur, mais sans préciser qu'il s'agissait plus ou moins d'une fumisterie, ce qui est éthiquement un peu douteux. Pourtant, une première traduction avait été réalisée dès l'automne 1885 par l'éditeur Édouard Dentu, spécialisé en littérature populaire et/ou naturaliste, qui en avait effectué lui-même une traduction "littérale", comprenez : au plus du texte original anglais, quitte à accumuler les barbarismes. le titre en était « Les Scandales de Londres », le nom de l'auteur n'était pas indiqué, et seul celui de son journal était imprimé, d'où la difficulté, même pour les bibliophiles, d'identifier clairement cet ouvrage comme étant de William Thomas Stead. le choix du titre révélait par ailleurs les intentions réelles de l'éditeur/traducteur, ce qu'il met d'ailleurs au clair dans une courte préface : il s'agit moins pour lui de rapporter les éléments d'un fait divers scabreux, que de relier le plus fidèlement possible ce fait divers aux moeurs abjectes des Anglais, perçus par lui comme un peuple de dégénérés.
« The Maiden Tribute To The Modern Babylon » (nous allons lui conserver dans cette critique son titre original, tant aucun des titres français ne lui rend justice) se voulait le fruit d'une longue enquête sur un réseau londonien parfaitement organisé de prostitution à caractère pédophile – encore que le terme soit inexact dans le sens où en 1885, en Angleterre, la majorité sexuelle était de 13 ans. Il s'agissait en réalité d'un réseau de très jeunes filles présentées comme vierges – mais ne l'étant pas forcément –, recrutées dans les quartiers pauvres puis fournies « clefs en main », avec un certificat de virginité délivré par un médecin complice, à une clientèle fortunée et ouvertement perverse.
Selon ses dires, William Thomas Stead aurait infiltré ces réseaux en se faisant passer pour un client. Chacun de ses articles aborde une forme relativement similaire où, apparemment sans trop craindre pour sa couverture, William Thomas Stead interviewe une mère maquerelle sur l'organisation de son réseau. Celle-ci lui répond très naturellement sur chaque détail, comme elle le ferait à un journaliste venant l'interviewer.
Ce choix rédactionnel met assez vite la puce à l'oreille sur la réalité supposée de ce qui est raconté. Par une foule de détails dont, par ailleurs, la traduction "littérale" révèle pluis aisément, de par sa précision rhétorique, le caractère hautement saugrenu que la traduction d'Alma Editeur. Cette enquête, qui ne semble découler d'aucune stratégie d'approche complexe, ni d'aucune complicité dans le milieu de la prostitution, suggère une une camaraderie bien improbable et fort imprudente entre les gérantes d'un réseau tentaculaire de prostitution infantile, et un client qu'elles ne connaissent ni d'Ève ni d'Adam, et qui, si on l'en croit, n'a même pas consommé lui-même la chair fraîche que l'on mettait à sa disposition.
Étranges franchises pleines de confiances que celles, fort ressemblantes d'ailleurs, de ces cinq ou six mères maquerelles, qui détaillent toute leur organisation devant un inconnu qui fourre son nez partout, et dont l'avide curiosité n'inspire aucune méfiance. Et pourtant, même dans un pays et à une époque où la majorité sexuelle était à 13 ans, l'enlèvement de jeunes filles et leurs prostitutions forcées constituaient un délit passible de l'emprisonnement à vie.
Ajoutons que ces femmes n'ont vraiment rien à cacher à ce client très curieux, même pas ce que subissent les jeunes filles dans leur intimité forcée, et c'est là que se tient le caractère véritablement atroce de cet ouvrage. Car, on le devine, William Thomas Stead veut choquer, veut révolter son lecteur. Bien qu'il attribue tous ces détails à ce que lui content ces maquerelles, Stead se vautre sans aucune pudeur dans des descriptions à la fois horribles et perverses : on propose à des petites filles, croisées dans des rues ou des jardins publics, de gagner de l'argent, pour elles ou pour leurs familles, en passant une demi-heure avec un monsieur riche. En 1885, l'éducation sexuelle est totalement absente de la très puritaine société victorienne; bien des fillettes acceptent sans imaginer un seul instant ce qu'on va leur demander. Elles sont pauvres, on leur offre de l'argent facile, et elles suivent d'instinct leur bienfaitrice tombée du ciel. Une fois arrivées chez elle, les fillettes sont séquestrées, dénudées, examinées, menacées et frappées. Leur première "passe" tient bien évidemment du viol, d'autant plus que la résistance terrifiée des fillettes achève de persuader le client qu'il a bel et bien affaire à une vierge. Pour les plus capricieuses, la maquerelle met à disposition tout un système de tréteaux et de poulies pour attacher les jeunes filles, jambes écartées. Certains clients sont d'une brutalité extrême, il est arrivé qu'ils tuent la fillette, ce qui est évidemment bien embêtant, mais comme le fait remarquer, sans états d'âme, la maquerelle qui répond à Stead, les gamines des rues, ce n'est pas ce qui manque à Londres : nul ne s'intéresse à la disparition de quelques unes d'entre elles, et ça se retrouve facilement.
La quelque trentaine de pages où sont étalées ces descriptions sordides représentent alors une crudité et une froideur jamais vues auparavant en Angleterre, ni dans la presse ni dans la littérature. Même un siècle et demi plus tard, il faut avoir le coeur bien accroché pour lire certains passages, d'autant plus que malgré le souci manifeste de l'auteur de susciter l'horreur et la répulsion, ses descriptions sont indéniablement empreintes d'une délectation féroce qui ne laisse que trop bien entrevoir que William Thomas Stead débitait alors d'odieux fantasmes personnels, et non pas des situations réelles. Qu'attendre d'autre d'un fils de pasteur lui-même éduqué à coups de martinets ?
L'autre élément déterminant sur la duplicité de William Thomas Stead, c'est qu'il n'est pas long avant de rendre responsable de tout cet épouvantable réseau de prostitution, non pas les hommes avides de virginités à tourmenter (c'est à peine s'il se fend de deux lignes pour les condamner moralement), mais... les femmes, qui sont, selon lui, à l'origine de ce commerce odieux : tant les maquerelles qui embrigadent les gamines des rues, que ces gamines elles-mêmes, dont l'appât du gain signait la chute, alors qu'elles auraient mieux fait d'aller à la messe...
On comprend que le gouvernement anglais, pas si dupe que le lecteur moyen de la « Pall Mall Gazette », comprit rapidement le caractère délirant et dangereux de cette série d'articles, et en interdit brutalement la publication. Furieux, Stead réagit alors par une série d'éditoriaux victimaires (qui forment d'ailleurs la deuxième partie de son livre), où il prétendait allègrement qu'on voulait l'empêcher de parler et de révéler les noms de clients haut placés dans la hiérarchie du Royaume. On reconnaît là assez typiquement le délire typique des mythomanes.
Néanmoins, la police britannique exigea de connaître le nom des sources de Stead, ce à quoi il se refusa catégoriquement. On finit néanmoins par découvrir que ce prétendu réseau organisé de prostitution enfantine se résumait à deux personnes : une prostituée indépendante du nom de Rebecca Jarrett, etune seconde d'à peine quinze ans, Eliza Armstrong, avec laquelle Rebecca partageait ses clients. de quelle manière William Thomas Stead avait-il rencontré ces deux jeunes filles ? Il ne l'avoua jamais, mais on ne le devine que trop bien…
L'affaire était très embarrassante pour tout le monde : le « Pall Mall Gazette » était alors un journal respectable qui risquait sa survie à admettre que son rédacteur-en-chef était un mythomane. Stead lui-même était une figure assez familière du journalisme londonien, très apprécié pour des campagnes de charité qu'il avait organisé, via son journal, durant les années précédentes. Enfin Eliza Armstrong, seule petite fille réellement violentée, n'avait jamais été enlevée : elle s'était enfuie de chez ses parents, un couple d'alcooliques qui la battait, et en était venue à la prostitution de son propre gré, ou du moins, par instinct de survie. Il n'y avait là qu'une sordide histoire de moeurs, condamnable mais pas criminelle, que l'on ne savait comment traiter. Mais le meilleur restait à venir !
Deux journaux concurrents au « Pall Mall Gazette » menèrent leurs propres enquêtes et découvrirent, conjointement, que Rebecca Jarrett prostituait effectivement Eliza Armstrong comme vierge, non pas dans un réseau londonien, mais dans un refuge en banlieue de l'Armée du Salut !!! Et ce, avec la complicité d'un médecin corrompu qui délivrait de faux certificats de virginité, et du directeur de ce refuge, Bramwell Booth, lequel touchait une prime "d'hébergement" en espèces ou en nature - cela n'a pas été clairement défini. Rebecca Jarrett et une autre prostituée, Louise Mourez, étaient officiellement, dans ce refuge, des volontaires de l'Armée du salut, et officieusement des maquerelles et des prostituées occasionnelles, louant au plus offrant la virginité hélas bien perdue d'une petite simplette de 15 ans, parfaitement consentante, et à priori, seule candidate à ce poste.
À l'exception de la jeune Eliza Armstrong, qui fut rendue à sa famille pour le meilleur et sans doute pour le pire, tout ce petit monde fut envoyé en prison pour des peines allant de deux à six mois, y compris William Thomas Stead qui, en l'absence de preuves évidentes de sa culpabilité ou de sa complicité active, fut principalement accusé de « méthodes d'enquête irrégulières ». Alors que tous les autres accusés firent profil bas et ne firent plus jamais parler d'eux, William Thomas Stead, avec un arrogant culot, profita de sa célébrité soudaine pour regagner à sa cause au moins une partie du lectorat du « Pall Mall Gazette », via un certain nombre de numéros de provocation étonnamment proches de ceux de nos conspirationnistes d'aujourd'hui, dont la publication d'une célèbre photo, prise à sa sortie de prison, le montrant en train de poser goguenard, vêtu de son uniforme de prisonnier.
le « Pall Mall Gazette » n'aurait pu le licencier sans relancer des soupçons sur le « Maiden Tribute ». Par ailleurs, l'affaire fit un tel tollé que les ventes du journal explosèrent : Stead fut, incompréhensiblement, jugé digne qu'on lui donne une deuxième chance. Il s'en saisit habilement, notamment en menant des campagnes de moralité qui ne furent qu'à demi-convaincantes, puis par le biais d'une enquête à charge bien plus populaire autour du désastreux « Bloody Sunday » de 1887 au Trafalgar Square. Malgré ces succès, William Thomas Stead essuya des critiques de plus en plus amères, jusqu'à ce que le « Pall Mall Gazette » se sépare de lui en 1889.
À partir decette date, William Thomas Stead, dont la santé mentale s'altérait, se jeta corps et âmes, et en dépit de son puritanisme chrétien, dans l'occultisme et l'ésotérisme, alors fort à la mode dans toute l'Europe. Cette passion acheva de le discréditer comme journaliste, mais il devint une sorte de gourou du surnaturel, et s'acoquina avec la célèbre fumiste ukrainienne Helena Blavatsky. Sous son enseignement, Stead se persuada d'être doué de prescience et de percevoir des "flashs" d'évènements futurs, mais qu'il exprimait généralement à posteriori. Curieusement, ce pouvoir surnaturel ne se manifesta pas, le 12 avril 1912, lorsque pour honorer une conférence ésotérique à New York, il s'embarqua sur le « Titanic », avec lequel, évidemment, il coula. Son corps ne fut jamais retrouvé.
150 ans plus tard, il est toujours difficile de juger équitablement « The Maiden Tribute To The Modern Babylon », document saisissant, frappant par sa crudité et son caractère sordide, mais en grande partie mensonger et pervers. Stead voulait-il libérer sa conscience d'un certain poids ? Ou n'a-t-il vu dans son délire lubrique et misogyne que la clef d'un scandale journalistique qui lui ouvrirait les portes de la gloire ?
Plus probablement, William Thomas Stead n'a fait qu'obéir à une pulsion dictée par son cerveau malade, apar le biais de laquelle se mêlaient à la fois un désir de rédemption et un opportunisme glacé. Toujours est-il que son livre exerce encore cette fascination malsaine qu'inspirent toujours les cervelles torturées quand elles sont en quête de droiture et de justice - au point même d'être encore réédité.
William Thomas Stead était vraisemblablement fou, mais il fut le premier fou à articuler sa folie mégalomane selon les règles du journalisme, et avec la puissance évocatrice d'un clergyman fanatique. Hélas, trois fois hélas, sa méthode a fait école, et à l'ère d'Internet où chacun peut se croire investi dans la délation de toutes les Babylones modernes, tout en trouvant facilement des naïfs pour croire à toutes les vérités cachées que l'on prétend étaler, l'écoeurante ombre tutélaire de William Thomas Stead flotte encore en ce siècle tourmenté, et semble avoir eu la sinistre prémonition d'une résurgence obscurantiste et puritaine, où chacun poserait la pierre d'une nouvelle Inquisition.
Commenter  J’apprécie          20


Livres les plus populaires de la semaine Voir plus
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Autres livres de William Thomas Stead (1) Voir plus

Lecteurs (1) Voir plus



Quiz Voir plus

La vague, Todd Strasser

Ce roman fait parti de quel genre littéraire ?

roman d'adolescence
science-fiction
fantastique
horreur

10 questions
899 lecteurs ont répondu
Thème : La vague de Todd StrasserCréer un quiz sur ce livre

{* *}