Mise en scène

Tout avait changé autour d'elle. Le passé avait basculé au second plan, comme une toile de fond.

Généralement, on commence par juger de la qualité du synopsis. S’il est bon et que la chaîne nous suit, alors on signe avec l’auteur et on passe au script. Et une fois le scénariste validé par la chaîne, on part sur une base de treize épisodes, plus neuf si les diffuseurs sont contents.
Habitué à ces processus et au succès, il en parlait avec aisance, mais pour Kait tout était nouveau.
— Oh, mon Dieu, dit-elle en fermant les yeux une seconde. Vous êtes en train de me dire que mon histoire va devenir une série télé aussi facilement que ça ?

— Oh, il reste encore quelques obstacles à franchir. D’abord, le script doit faire l’unanimité. Ensuite, point crucial, il faut trouver les bons acteurs, en l’occurrence des actrices assez charismatiques pour incarner votre histoire et porter la série. Enfin, nous devrons recruter un réalisateur capable de diriger une trame et des personnages féminins. C’est une question de chance. Si tout s’emboîte bien, la série sera diffusée l’automne prochain.

Son récit devait être nul… À peine meilleur qu’un essai d’amateur. Elle qui avait été tellement excitée en l’écrivant ! Mais cet enthousiasme du début avait bel et bien disparu et laissé la place au doute et à la mortification

Le public a besoin de modèles qui le stimulent. Et c’est encore plus impressionnant quand on pense que votre grand-mère a fait tout ça au début des années 1930, quand les femmes de sa condition ne travaillaient pas. À l’époque, il y en avait bien quelques-unes qui étaient scientifiques, ou dans les arts, mais pas de
femmes d’affaires, et encore moins quand elles étaient issues d’un milieu que je suppose aisé. Les Whittier étaient apparentés aux Vanderbilt et aux Astor, non ?

Certains aiment la violence, c’est comme une thérapie de choc, ça les distrait de la vie réelle.

Il fallait voir le bon côté des choses. Il y avait des avantages à avoir des enfants adultes. Elle pouvait faire ce qu’elle voulait : travailler, se détendre, dormir, lire, regarder la télé, sortir avec ses amis ou ne rien faire du tout. Elle pouvait prendre ses repas à n’importe quelle heure, sans s’inquiéter de devoir faire la conversation à quelqu’un ou s’assurer que chacun passait un bon moment.

En précurseur, Constance avait démontré qu’une femme sans formation ni compétences particulières pouvait réussir, même avec peu d’atouts en main.

Scott avait été un mauvais choix comme mari. Tout ce qui l’avait rendu si charmant et séduisant à l’université s’était retourné contre lui : Kait avait mûri, lui non, à dessein. Sa mort avait attristé Kait, surtout pour les enfants, mais ils en furent moins éprouvés qu’elle, et, comme ils n’avaient pas non plus tissé de liens avec leurs grands-parents paternels, décédés précocement, Kait était devenue par la force des choses le noyau de la cellule familiale. Elle leur avait inculqué ses valeurs, et tous trois l’admiraient pour sa capacité à s’investir à fond dans le travail, tout en étant capable de se rendre disponible pour eux à n’importe quel moment, aujourd’hui encore. Aucun d’eux n’avait particulièrement besoin de son aide, chacun ayant trouvé sa voie. Toutefois, ils savaient qu’ils pouvaient compter sur elle en cas de besoin.
Sa seconde expérience conjugale avait été complètement différente, mais pas plus réussie que la première. Elle avait attendu ses quarante ans pour se remarier. Tom fréquentait déjà l’université et ses deux filles étaient adolescentes.

Elle était régulièrement envoyée dans des pays en guerre, mais il était essentiel à ses yeux d’apporter un éclairage sur la condition des femmes et elle était prête à risquer sa vie pour témoigner. Elle avait survécu à un bombardement de son hôtel, au crash d’un petit avion en Afrique, mais elle n’en avait jamais assez. Elle disait que travailler derrière un bureau ou vivre à plein temps à New York l’ennuierait. Si elle envisageait de devenir un jour réalisatrice indépendante, son travail actuel était important pour elle et avait du sens.

Les problèmes familiaux tout comme les vicissitudes de la nature humaine, les déceptions et les dangers dont même le sang bleu ne protège pas, rien de cela ne lui était étranger. Elle portait très bien ses cinquante-quatre ans, avec ses cheveux roux et ses yeux verts ; son style vestimentaire était simple mais bien à elle. Elle était franche et ne craignait pas d’exprimer ses opinions, au risque de déplaire, et elle était toujours prête à se battre pour ses convictions. Elle alliait calme et courage, attentionnée envers son public et dévouée à ses enfants. Sa modestie cachait une grande force.