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Critique de kielosa



Je n'ai pas traduit le titre de cet ouvrage, qui est d'ailleurs paru en Russe comme "Памяти памяти" (Past Memory), parce qu'il sera sûrement traduit en Français prochainement, puisqu'il est en lice comme un des 6 livres retenus pour gagner le prestigieux Prix International Man-Booker 2021, le 2 juin prochain. L'année dernière ce prix a été remporté par la jeune Néerlandaise (29 ans) Marieke Lucas Rijneveld avec "Qui sème le vent".

À toutes fins utiles, je signale que le nom de famille Step(a)nov(a) est très courant en Russie, un peu comme nos Dupont et Durand. Il s'agit donc de ne pas confondre notre auteure avec son homonyme, la joueuse de basket d'Ekaterinbourg de 2,03 m, qui s'appelle aussi Maria Stepanova, ni avec Mariya Stepanova, une chanteuse d'opéra du siècle dernier et surtout pas avec l'écrivaine Marina Stepnova, auteure des romans à succès "Les femmes de Lazare" et "Leçons d'Italie".

Notre Maria Stepanova est une écrivaine, poétesse, essayiste et journaliste moscovite, née en 1972, et lauréate en 2005 des Prix Pasternak et Andreï Biély. Avec le présent ouvrage, elle a reçu le Prix du Grand Livre ("Bolchaïa Kniga").

La journaliste culturelle de la publication "Russia Beyond", Alexandra Gouzeva, s'est posée, dans son éditorial du 23 avril dernier, la question : pourquoi faut-il avoir lu ce roman et essai de Stepanova ?

Et elle y répond en mettant en exergue que l'ouvrage contient tant de couches que chacun y trouvera son thème favori. 
Le livre ne constitue pas une espèce de nécrologie de la mémoire, mais tout au contraire "l'espoir de pouvoir conserver pendant des générations".

À la mort de sa vieille tante Galya, une soeur de son père que la narratrice n'a pas vraiment connu, celle-ci découvre un appartement plein de photos, de cartes postales, de lettres, de notes disparates et de journaux intimes laissés par l'octogénaire.

D'après l'auteure, il existe 2 sortes de journaux intimes : ceux adressés à autrui, comme un témoignage ou testament et ceux écrits pour soi-même et pas destinés à être lus.

Les nombreux journaux de Galya appartiennent manifestement à la 2ième catégorie. Pendant des décennies la chère tante a systématiquement tout noté : l'heure de son réveil et de repos, le temps, les courses, les coups de téléphone, les visites et rencontres, les programmes de télé, etc.

Cette abondance d'informations, dont une large partie apparemment de signification dérisoire, va cependant former le catalyseur à la narratrice pour rechercher, approfondir et écrire l'histoire de sa famille.

Maria Stepanova estime, par ailleurs que ces notes disparates nous apprennent parfois plus sur la vraie nature de son auteur que des journaux intimes bien réfléchis et soigneusement rédigés.

Sa famille juive est originaire d'un village paumé, Pochinki, dans la province de Nijni Novgorod, à quelque 600 km à l'est de Moscou et où personne de sa famille n'habite plus. Absolument tous ont pris ou plutôt ont dû prendre la route de l'exil, comme ses parents par exemple en Allemagne et des tantes et oncles aux États-Unis et encore d'autres à Paris.

Ce roman-essai est incontestablement d'une qualité littéraire exceptionnelle, ne fût-ce que parce que l'auteure a avant tout l'âme d'une poétesse, ce qui se reflète dans une langue fort poétique.

Maria Stepanova, qui doit avoir une culture littéraire particulièrement vaste, nous surprend par ses nombreuses références à une variété d'écrivain-e-s, allant de Pouchkine et Tchekhov, en passant par Boulgakov et Nabokov à Susan Sontag.

L'approche poétique et les multiples citations littéraires font que l'ouvrage nécessite de la part de la lectrice et du lecteur une bonne dose de concentration pour en savourer pleinement sa richesse.

Le livre offre par surcroît un panorama très personnel sur l'histoire mouvementée d'un énorme pays qui a vécu différents régimes, une révolution et maintes guerres.

À mon avis, la façon admirable de ce que l'auteure nous transmet sur la valeur immense de la mémoire dans ses formes très variées, fait de ce document, unique en son genre, un véritable chef-d'oeuvre.

Quoi qu'il en soit Maria Stepanova mérite, le mois prochain, d'aller rejoindre les lauréats du Prix International Man-Booker, au même titre qu'Ismaïl Kadaré en 2005, David Grossman en 2017 et Olga Tokarczuk l'année suivante.
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