En vérité, j'eus la volonté d'attendre parce qu'en agissant ainsi je reculais l'échec qui m'attendait derrière sa porte. Cet échec était ma seule condition. Attendre, mon seul espoir de m'en éloigner provisoirement.
Elle paraissait réduite à l'essentiel, enfermée dans une beauté qui n'avait pas été retouchée, et ce qu'elle avait d'agressif ou de triomphal avait été taillé en pleine matière vive, en quelques coups de hasard qui avaient fait de toutes les imperfections d'étonnantes réussites. Car elle était très loin d'être parfaite, mais personne à mes yeux, n'avait été aussi près de ce que la beauté impure pouvait contenir d'absolu.
Pourquoi ce visage me troublait-il plus qu'un corps ?
le regard qui me liait à elle ne pouvait être qu'un regard empoisonné, décisif. Je savais déjà que ce regard avait plus d'importance que les multiples évènements qui avaient éclaté dans ma vie. Il était mon point de jonction ma vérité.
J'avais ouvert une porte, j'avais posé une seule question, j'avais reçu une seule réponse. Mais ce dialogue presque abstrait avait plus de poids que les millions de mots dont était jonché mon passé.
J'étais pris.
Ce passé d'ailleurs ne me concernait déjà plus. Ses prolongements ne pourraient plus me rejoindre dans l'avenir.
Soudain, sans raison, je pensai à ce que je ferais si elle se levait pour me dire que c'en était assez et qu'elle partait.
Je souffris plus encore en la retrouvant que je n'avais souffert en la quittant.
Avec les mêmes doutes, on pouvait se demander si elle faisait le trottoir toutes les nuits ou bien si elle s'était déjà laissée toucher par un homme.
L'image m'entra dans le regard avec une telle force que je demeurai un instant étourdi.