Au, fond, dit-elle sans me regarder, comme si ce travail l'avait absorbée corps et âme, je ne m'ennuie jamais. Mais tout m'ennuie.
Elle leva alors les yeux vers moi et dota son regard d'une extraordinaire expression de fièvre, de soif et de voracité, celle qu'aurait pu avoir un fauve qui n'aurait jamais trouvé aucune proie à se mettre sous la dent.
-- Peut-être, ajouta-t-elle de sa voix neutre et assourdie, que mon seul plaisir est justement de voir les choses m'ennuyer à ce point.
J'avais besoin de l'illusion qu'elle m'apportait.
Comme si j'avais vécu sur deux plans à la fois, dans une réalité qui ne me concernait plus et dans le souvenir d'un passé tout proche et pourtant à jamais perdu.
Mais je ne lui demandais rien, je n'avais plus rien à demander à personne. Pas même à moi.
elle n'avait rien appris d'autre que sa tristesse, ses flambées d'agressivité ou de joie, sa tendresse équivoque ou sa cruauté d'inconsciente
Cà ne sert à rien de savoir des choses. L'intelligence, c'est avoir l'intelligence de ne rien apprendre.
La force des penseurs était de toujours promettre pour le lendemain jamais pour le jour même.
Car, malgré tout, il convient de reconnaître que si l'homme a enfin pris pleine conscience de ses sens, il n'a toujours pas trouvé son véritable sens. Simplement, il ne le cherche plus comme dans le passé. Il baise, donc il croit qu'il est. Quant à Dieu, on l'a envoyé se faire croire ailleurs.
Et je pense. Que faire d'autre, sinon penser, quand on n'a vraiment rien à faire?
Je pense aussi que ce siècle m'a toujours paru assez ridicule, mais je ne vois pas du tout quel siècle du passé ou de l'avenir me paraîtrait plus tentant ou moins ridicule. Il me semble que c'est l'homme qui est en cause, responsable. Je lui ai toujours trouvé une remarquable faculté de tout gâcher, de tout avilir.