Citations sur La maison des oiseaux (10)
La vie est un livre d'histoires. Nos histoires dépendent de ce qui se passe ou pas ; de ce que nous savons ou pas ; de ce que nous oublions, et pourquoi. C'est ce qui rend la vérité difficile à raconter. Parce que le passé ne reste jamais immobile : il change au fil du temps.
Madi est ma meilleure amie, sauf que je la déteste. Quand
on était petites, elle décidait avec quels jouets j’avais le
droit de jouer. Maintenant, elle décide avec qui je peux
être amie, c’est-à-dire personne, à part les filles cool qui
s’assoient à sa table à la cafétéria. Sauf que ce ne sont pas
mes amies. Elles ne m’invitent pas à leurs soirées, et je dois
rire avec elles quand Madi se moque de mes fringues de
récup’ et de l’endroit où je vis. Quel genre de loser peut supporter ça ? Quelqu’un comme moi, apparemment.
Arrête de discuter ! réplique papa. – Et toi, arrête de me parler comme si j'avais trois ans ! – Quand tu arrêteras de te comporter comme une gamine. Parle à mon cul. Je regagne ma chambre en tapant des
pieds.
– Qu'est-ce qu'elle a en ce moment ? demande papa,
comme si j'étais sourde. Tu crois qu'elle a un problème ?
– Ouais, c'est ça ! Ma vie est un problème ! je balance
par-dessus mon épaule, avant de claquer la porte.
L'été dernier, ils m'ont confisqué mon téléphone et m'ont privée de sorties pour des trucs que je n'avais même pas faits. Maintenant, ils sont sans arrêt sur le dos de Mamie.
Et ils se demandent pourquoi je suis sur les nerfs…
Maman court dans tous les sens comme une demeurée
pour essayer de rendre notre salon présentable. C’est pas
gagné. On a beau accrocher des tableaux de paysages bon
marché à la place des photos de mannequins, recouvrir les
sèche-cheveux de draps en nylon et poser des plateaux de
bretzels sur les lavabos, un salon de coiffure reste un salon
de coiffure. Du lundi au samedi, les « filles » de maman – « Ne les
appelle pas mes clientes ! » – bavardent autour du coin
dînette ou regardent la télé, la tête dans les casques séchoirs.
Mais aujourd’hui, c’est dimanche, et on attend des invités.
J’aide papa à remonter le tapis de son bureau d’assureur,
au sous-sol. Il a atterri en bas parce que maman en avait
marre d’aspirer des cheveux sur un tapis à poils longs à
longueur de journée. Le tapis sent encore plus mauvais que les aisselles de mon
proviseur. Je ne sais pas si c’est à cause du béton humide
ou des pieds moites de papa, qui enlève ses chaussures dès
qu’il est stressé. Heureusement qu’il y a l’odeur des après-shampooings et des laques, et les gommages pour les pieds
à la menthe poivrée de maman ! Je déroule le tapis pendant que papa va chercher le clic-clac dans la chambre d’amis, pour qu’on puisse faire semblant d’avoir un canapé. Maman, plantée devant un miroir,
est trop occupée à tripoter sa perruque pour s’intéresser à
nous. Elle fait de l’alopécie, ce truc qui fait tomber les
cheveux. Vu qu’elle est coiffeuse, mon prof d’anglais
appellerait ça de l’ironie. Moi, je dis que c’est le karma
Les mauvaises herbes ne sont que des fleurs qui poussent au mauvais endroit.
- Je suis là, Mamie, dis-je d'une toute petite voix.
- Oui, c'est vrai. Tu es comme Teddy.
- Tu m'as déjà dit ça hier.
- Ah bon?
- Tu ne parles jamais de lui. Et là, tu as prononcé son nom deux jours de suite.
- Si tu le dis..., murmure Mamie. Je pense de plus en plus à lui. C'est étrange, non? Plus on vieillit, plus on pense au passé. Va savoir pourquoi...
- Parce que le passé augmente un peu plus chaque jour.
Mamie s'esclaffe.
- Toi, alors !
- Zoé, vous êtes jeune, et je sais que c'est dur à entendre, mais parfois, il vaut mieux laisser les choses comme elles sont...
Oncle Teddy, tu es comme ces objets qui traînent dans le grenier. On ne les voit plus, mais ils sont toujours là...
-... Moi aussi, j'oublie des trucs. Oublier, c'est normal.
- J'espère bien.
- Et puis, tu es plus vieille que moi. Tu as beaucoup plus de choses à te rappeler.
Mamie essaie de sourire.
- Ca c'est sur ! Quand je penche la tête, les souvenirs me tombent des oreilles.
On écoute un geai bleu.
- Zoé, il y a des moments, comme maintenant, où je sais ce qui est quoi. Mais entre nous, ce matin, c'est comme un rêve, et je ne sais pas comment je serai ce soir...
Qu'est ce que ça peut faire si Mamie est vieille et différente? Au moins, elle est libre...