Livrez vos mains aux miennes,
Écoutez la rumeur :
Nos âmes attardées
Viennent de leurs frontières.
Voici qu'elles se touchent.
C'est l'ombre et la lumière
Qui se croient immobiles
Et tremblent de changer.
*
Dans votre grand silence
Vous avez l'air de dire
Un chant irréparable
Qui part de la montagne
Et gagne au loin la mer.
Une à une les choses
Vont douter de leurs gonds.
Un coeur de l'an dernier ?
Un coeur de l'an prochain
Habite nos poitrines.
Déjà tout se souvient :
Ce nuage, le mont, le paquebot, sa route,
Et ce grand ciel partout
Qui nous lia les mains.
APPARITION
Où sont les points cardinaux,
Le soleil se levant à l'Est
Depuis mon enfance diurne ?
Mon sang et son itinéraire
Prémédité dans ses artères ?
Le voilà qui déborde et creuse,
Grossi de neiges et de cris
Il court dans des régions confuses ;
Ma tête qui jusqu'ici
Balançait les pensées comme branches des îles,
Forge des ténèbres crochues,
Ma chaise que happe l'abîme
Et se trouver enfin, fraîches les deux oreilles,
Corps galopant au fond de l'aube qu'on réveille.
Ces jours qui sont à nous, si nous les déplions
Pour entendre leur chuchotante rêverie
Ah c’est à peine si nous les reconnaissons.
Quelqu’un nous a changé toute la broderie.
Cette couleur c'était la couleur de vos yeux
Et cet air délicat c'était votre air aussi
Mais les chemins qui vont d'hier à aujourd'hui
Vous les foulez toujours de vos jeunes chevaux
Qui n'en finissent plus d'un galop toujours proche
De me venir dessus.
Je suis si loin de vous dans cette solitude
Qu'afin de vous atteindre
Je rapproche la mort de la vie un moment
Et vous saisis les mains, chers petits ossements.
Dans la chambre où je fus rêvait un long lézard
Qu’embrasait un soleil ignoré par le ciel,
Des oiseaux traversaient le haut toit sans le voir,
Je me croyais masqué par mon propre secret.
Des visages nouveaux formés par le hasard
Riaient et sans que l’on perçût le moindre rire.
L’air était naturel mais il était sans bruit,
Tout semblait vivre au fond d’un insistant regard.
Comme se dévoilait l’épaule d’une femme,
Un homme qui sortit d’un pan profond du mur
Me dit en approchant son corps plus que son âme :
« Comment avez-vous fait pour venir jusqu’ici,
Votre visage est nu comme une main qui tremble.
Vous avez beau cacher vos yeux et vos genoux.
Chacun vous vit entrer et nul ne vous ressemble,
Allez-vous-en, le jour même, ici, vous déroute
Et rien entre ces murs jamais ne songe à vous. »
Dans la forêt sans heures
On abat un grand arbre
Un vide vertical
Tremble en forme de fût
Près du tronc étendu.
Cherchez, cherchez, oiseaux
La place de vos nids
Dans ce haut souvenir
Tant qu'il murmure encore.
Quand les chevaux du temps s'arrêtent à ma porte
J'hésite un peu toujours à les regarder boire
Puisque c'est de mon sang qu'ils étanchent leur soif.
Ils tournent vers ma face un œil reconnaissant
Pendant que leurs longs traits m'emplissent de faiblesse
Et me laissent si las, si seul et décevant
Qu'une nuit passagère envahit mes paupières
Et qu'il me faut soudain refaire en moi mes forces
Pour qu'un jour où viendrai l'attelage assoiffé
Je puisse encore vivre et les désaltérer.
Livrez vos mains aux miennes,
Ecoutez la rumeur:
Nos âmes attardées
Viennent de leurs frontières.
Voici qu'elles se touchent.
C'est l'ombre et la lumière
Qui se croient immobiles
Et tremblent de changer.
Réveil
(...) Aujourd'hui je ne sais que dire,
Tous les mots sont restés au loin,
Saisis par leur propre délire.