C'est la création du monde, des animaux, de l'arbre, de l'homme...
Tour à tour dans la peau de chacun, intérieur extérieur, détail et grand évènement, le poète nous raconte l'apparition de la vie toute entière. Les sens en éveil, il dévoile des émotions tout en gardant la part de mystère qui habite cette histoire.
Nous sommes là, au plus près de la vie, dans ce qu'elle a de plus simple et de poétique. C'est un vrai bonheur de vivre ces mots, le temps de la lecture.
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Les poésies les plus simples sont peut-être les plus belles. Ce recueil de facture assez classique a été écrit à une époque où la mode était peut-être davantage aux surréalistes... retour aux sources essentielles donc pour cette "fable du monde", qui est aussi une poésie intimiste, profondément touchante.
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Sous la peau des ténèbres,
Tous les matins je dois
Recomposer un homme
Avec tout ce mélange
De mes jours précédents
Et le peu qui me reste
De mes jours à venir.
Me voici tout entier,
je vais vers la fenêtre.
Lumière de ce jour,
je viens du fond des temps,
Respecte avec douceur
Mes minutes obscures,
Épargne encore un peu
Ce que j'ai de nocturne,
D'étoilé en dedans
Et de prêt à mourir
Sous le soleil montant
Qui ne sait que grandir.
Visage des animaux
Si bien modelés du dedans à cause de tous les mots que vous n'avez pas su dire,
Tant de propositions, tant d'exclamations, de surprise bien contenue,
Et tant de secrets gardés et tant d'aveux sans formule,
Tout cela devenu poil et naseaux bien à leur place,
Et humidité de l'oeil,
Visages toujours sans précédent tant ils occupent l'air hardiment !
Qui dira les mots non sortis des vaches, des limaçons, des serpents,
Et les pronoms relatifs des petits, des grands éléphants.
Mais avez-vous besoin des mots, visages non bourdonnants,
Et n'est-ce pas le silence qui vous donne votre sereine profondeur,
Et ces espaces intérieurs qui font qu'il y a des vaches sacrées et des tigres sacrés.
Oh ! je sais que vous aboyez, vous beuglez et vous mugissez.
Mais vous gardez pour vous vos nuances et la source de votre espérance
Sans laquelle vous ne sauriez faire un seul pas, ni respirer.
Oreilles des chevaux, mes compagnons, oreilles en cornets
Vous que j'allais oublier,
Qui paraissez si bien faites pour recevoir nos confidences
Et les mener en lieu sûr,
Par votre chaud entonnoir qui bouge à droite et à gauche...
Pourquoi ne peut-on dire des vers à l'oreille de son cheval
Sans voir s'ouvrir devant soi les portes de l'hôpital.
La Mort des étoiles
Elle passa comme un parfum de fleur d’automne.
J’espérais la revoir et ne la voyais plus ;
Mon cœur était lassé de ne trouver personne,
Mes yeux étaient lassés d’avoir été déçus.
Un soir, comme j’errais, pensif et rêvant d’elle,
Que je voyais au loin les plaines s’endormir,
Et les horizons roux devant la nuit grandir,
Et, comme le soleil, l’oiseau fermer son aile,
Dans l’ombre, j’effeuillais mes amours, lentement,
Et lorsque j’eus fini, je regardais derrière
Ce qu’il était resté de cet effeuillement
Des étoiles d’argent s’élevaient de la terre...
Mais, soudain, je la vois, d’un pas calme et serein,
S’avancer lentement, délicieusement lasse,
Je la vois... elle vient... de mon bras je l’enlace,
Elle ferme les yeux comme pour voir plus loin.
« Oh ! laisse-moi les voir, tes yeux bleus, dans la nuit.
On dit qu’il est des cieux où l’on ne saurait dire
Si l’azur qui commence est l’azur qui finit,
Mais je n’ai jamais vu, quand je les vois sourire,
Ni rien de plus profond, ni rien de plus lointain
Que l’azur de tes yeux, ni rien de plus intense,
Et lorsqu’on croit qu’il va finir, il recommence !...
Les larmes de tes yeux s’en viennent de bien loin.
Oh ! laisse.... Je voudrais les boire une par une,
Tes larmes, doucement, sous ces rayons de lune...
Viens... Viens... Ne veux-tu pas, dans le bois frissonnant
Où se perd la chanson que murmure le vent,
Nous promener tous deux auprès de l’étang pâle
Que reflète, songeur, le triste peuplier ?...
Par cette nuit si bleue, où toute fleur exhale
Son parfum le plus doux qu’elle sait le dernier,
Ne sens-tu pas neiger, en ton cœur, des étoiles ?...
La nuit n’a pas voulu vêtir ses sombres voiles,
Elle a voulu, ce soir, se vêtir de rayons...
C’est une nuit d’amour... Partons. La lune claire
Doit rêver des baisers qu’elle a vus sur la terre,
Viens... le rossignol chante en la forêt... Partons... »
Et la lune d’argent vit derrière une branche
Un couple d’amoureux qui passait lentement,
Et, frissonnant un peu du haut du firmament,
Elle continua sa route, calme et blanche...
Le lendemain matin, lors des premiers rayons,
Les amants enlacés dormaient dans un grand rêve,
Et le soleil radieux qui, dans les ors se lève,
Vit leur enlacement et caressa leurs fronts...
...................................................................
Ses blonds rayonnements me trouvèrent heureux...
Mais je me rappelais mon rêve de la veille,
Ce rêve tant aimé, je voulais qu’il s’éveille !...
Les rêves qu’on atteint ne sont jamais si bleus...
Lorsque l’aurore naît des ombres de la nuit
On voit trembler la douce étoile qui s’enfuit ;
Aux rayons du soleil son éclat est plus pâle,
Elle s’efface et meurt comme un parfum s’exhale.
Mon rêve avait été comme l’étoile aux cieux,
J’avais cru qu’il serait au soleil plus radieux,
Mais il avait besoin, pour être, de ses voiles...
Les rayons du soleil font mourir les étoiles...
La Lenteur autour de moi
La Lenteur autour de moi
Met son filet sur les meubles
Emprisonnant la lumière
Et les objets familiers.
Et le Temps, jambes croisées,
Me regarde dans les yeux
Et quelquefois il se dresse
Pour me voir d’un peu plus près,
Puis il retourne à sa place
Comme un prince satisfait.
Et voici dans tout mon corps
Le Sentiment de la Vie,
Blanches et rouges fourmis
Composant un être humain.
Et l’Espace autour de moi
Où chacun trouve sa place
Depuis les hautes étoiles
Jusqu’à ceux qui les regardent.
Et chaque jour que j’endure
Sous mes ombreuses pensées
Je vis parmi ces figures
Comme entre des Pyramides
Autour de moi étagées.
L'ENFANT ET LES ESCALIERS
Toi que j'entends courir dans les escaliers de la maison
Et qui me cache ton visage et même le reste du corps,
Lorsque je me montre à la rampe,
N'es-tu pas mon enfance qui fréquente les lieux de ma préférence,
Toi qui t'éloigne difficilement de ton ancien locataire.
Je te devine à ta façon pour ainsi dire invisible
De rôder autour de moi lorsque nul ne nous regarde
Et de t'enfuir comme quelqu'un qu'on ne doit pas voir avec un autre.
Fort bien, je ne dirai pas que j'ai pu te reconnaître,
Mais garde aussi notre secret, rumeur cent fois familière
De petits pas anciens dans les escaliers d'à présent.
Jules SUPERVIELLE – Introduction à son œuvre (Conférence, 2017))
Une conférence d’Adeline Baldacchino, intitulée « Jules Supervielle - Cœur de vivant guetté par le danger », donnée le 4 février 2017 à l’Université Populaire de Caen.