La plupart des poètes se rattachent à un mouvement ou une école (classicisme, romantisme, symbolisme, surréalisme, par exemple). Mais il en est d'autres qui font cavalier seul ("lonesome cowboys") et qui de ce fait sont parfaitement inclassables. Ce qui toutefois n'enlève rien à leur valeur. Témoin
Jules Supervielle.
Jules Supervielle est un cas. On ne parle jamais de lui quand on évoque les grands poètes du XXème siècle,
Apollinaire,
Aragon,
Eluard et les autres. Pourtant il est leur égal sur bien des points.
Si je me suis intéressé à lui c'est d'abord à titre personnel : c'est un compatriote.
Jules Supervielle (1884-1960) est né à Montevideo (
Uruguay) (comme
Lautréamont et
Jules Laforgue), mais sa famille était originaire d'Oloron-Sainte-Marie (Basses-Pyrénées, aujourd'hui Pyrénées-Atlantiques) et il y est enterré. Oloron est ma ville natale.
Jules Supervielle aurait pu être mon grand-père.
Ensuite
Supervielle est un grand poète. Son domaine à lui ce n'est pas l'épopée, ni la satire, ni le pamphlet, ni même la poésie purement lyrique. En fait sa poésie échappe elle aussi à toute classification : elle est à la fois familière, profonde, très proche de la nature, et très proche des humains. Elle n'a pas la transparence d'
Eluard, le lyrisme d'
Aragon, l'humour de
Desnos, elle ne revendique aucun modernisme, ne s'enferme pas non plus dans un quelconque passéisme. Elle est sa poésie, la poésie de
Jules Supervielle, subtile, souvent touchante, attachée à des sentiments comme la nostalgie ou une forme de désenchantement, peut-être, mais dont le fil rouge semble être la place de l'homme dans le monde, le monde réel et le monde imaginaire.
Les deux recueils que voici donnent une idée assez précise de ce que propose
Supervielle. Il fait fi des règles classiques de prosodie, de métrique et de versification, il ne se sert pas des schémas habituels, il utilise plus souvent des assonances que de rimes... le résultat donne une simplicité de forme et de ton qui emporte l'adhésion; simplicité qui n'exclut pas d'ailleurs une certaine profondeur :
Supervielle nous invite aussi à réfléchir sur nous-mêmes.
J'ai mis en citation trois
poèmes qui illustrent bien ce propos.
Oloron-Sainte-Marie est un hommage à la ville de ses parents, où ils moururent l'année de sa naissance, empoisonnés par de l'eau corrompue. Hommage à la cité, et au-delà hommage émouvant à ses parents et à ses ancêtres - hommage que nous pouvons prendre à notre compte, qui que nous soyons, et d'où que nous venions.
La demeure entourée, plus léger, est à la fois un hymne à la nature et une parabole sur la place de l'homme dans l'univers.
Les amis inconnus ... le titre se suffit à lui-même.
Il faut relire
Supervielle, un peu méconnu aujourd'hui, parce qu'il nous parle de lui, parce qu'il nous parle de nous, parce qu'il nous parle du monde qui nous entoure, et de celui à l'intérieur de nous...
Il faut relire
Supervielle parce qu'il le vaut bien, et parce que
Supervielle, c'est un peu nous.