Vivre, à quoi ça sert ?

Mettant à profit la préparation de mon certificat de philosophie, je cherchais un système sûr (...) Je constatais que chaque "grand" philosophe prétend à un discours meilleur que ceux de ses prédécesseurs, discours qui sera à son tour controversé. (...)

Finalement, j'en arrivai à la conclusion désespérante que la raison ratiocinante ne pouvait rien m'apporter. (...) ce n'était pas la recherche qui péchait (...) Mais c'est l'objectif (...) qui contenait sa propre impasse: vouloir comprendre Dieu.

Dieu n'est pas le Dieu des philosophes et des savants, mais le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. (Pascal)

Le Dieu vivant qui se révèle à l'homme vivant, ne se trouve ni à force de raisonnements, ni au bout d'une lorgnette.
Croyants ou non-croyants, il faut se méfier d'un pur intellectualisme. (...) Il faut se méfier de l'impérialisme de la raison.
Livrée à sa seule puissance, la raison se croit capable de tout, de tout embrasser, de tout maîtriser.
Ce qui m'a sauvée, c'est de me heurter aux limites de la raison, et de, finalement, y consentir. (...)
(...) La raison, livrée à elle-même, donne un sentiment de toute-puissance (...).

La culture véritable donne en effet un regard universel, un regard de respect pour chaque culture, un regard qui perçoit leur valeur singulière.

Tu prétends servir et aimer, mais vois ton orgueil, ton égocentrisme, ta vanité. Vois l'ampleur de ton ego (...) :

"Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être: nous voulons vivre dans l'idée des autres d'une vie imaginaire et nous nous efforçons pour cela de paraître. Nous travaillons incessamment à embellir et conserver notre être imaginaire et négligeons le véritable." (Pascal)

"L'homme est le seul animal qui sache qu'il va mourir", a écrit André Malraux.

Or, face à cela, 2 réactions opposées se manifestent souvent: le déni de la mort, et le culte de la mort.

La première attitude est occultante: plus de noirs corbillards (...) plus de chants lugubres aux cérémonies funèbres.
Dans ce monde où l'imaginaire est roi, on est arrivé à nier certains aspects de la condition humaine. (...) Soyons tous et toujours beaux, jeunes, et pleins de santé!. Dans son horrible splendeur, l'angélisme règne ici à plein, dans le déni de la condition humaine, le déni du temps, de la maladie, de la mort.

Tout à l'opposé, un goût pour le morbide se développe aujourd'hui, (...) on orne sa chambre d'une tête de mort et d'images macabres (...).

" Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie et tout le reste: on jette de la terre sur la tète, et en voilà pour jamais. "(Pascal, Pensées)

Roi ou mendiant, l'épilogue est le même, un cadavre descend en terre.

Sœur Nina (...) fut pour moi comme une lumière (...) chaque fois qu'elle apprenait l'histoire lamentable de telle ou tel, je l'entendais s'écrier: Qu'est-ce que NOUS sommes!
Ce "nous", elle le prononçait avec une telle intonation désolée que je voyais bien qu'elle vivait ce drame en elle et pour elle, qu'elle se sentait porteuse de la même viscérale faiblesse. (...)
elle n'avait pas lu Pascal, mais, comme lui, s'appliquait à elle-même ce qu'elle connaissait de l'humanité dans son ensemble:

« Que le cœur de l'homme est creux et plein d'ordure! » (Pascal)

Quel effrayant contraste, le cœur de l'homme est à la fois (...) évidé, et plein de ce qui est rebut (...).

(...) Ici, c'est un saint qui révèle avoir vu un jour son propre cœur, nu et cru, et en a été horrifié. Là, c'est (...) Joseph de Maistre, qui osait écrire: « Je ne connais pas le cœur d'un criminel, mais celui d'un honnête homme, et ce que j'y vois m'épouvante! »

Ici, constatons seulement comme est grande l'ambition de l'homme d'asservir la matière à ses fins personnelles, et combien est ambiguë l'excellence de la science et des techniques. Certes, elles font progresser l'humanité mais (...) sera-ce pour le bien de tous? Devant la répartition inégale sur la planète des bénéfices de la science et de la médecine, ne peut-on pas légitimement se demander si elles ne sont pas les instruments d'une partie privilégiée de l'humanité sur une autre?

(...)Au siècle dernier, la science apparaissait comme la merveille qui allait définitivement dominer la matière et libérer l'homme de tous ses maux. (...) et voici maintenant que les acquis mêmes de la science mettent en danger l'atmosphère, l'alimentation, la terre, l'humanité.

(...) les 3 «libidos» dont parle la première épître de Jean (2, 16), que Pascal cite et commente:

«Tout ce qui est au monde est concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie, *libido sentiendi, libido sciendi, libido dominandi*.
Malheureuse, la terre de malédiction que ces 3 fleuves de feu embrasent plutôt qu'ils n'arrosent»

Que de maux, physiques, d'abord, mais aussi psychiques et spirituels, s’enchaînent en cascade lorsque cette (...) règle est enfreinte[:] (...) lorsque la jouissance est séparée de tout le reste et poursuivie pour elle-même.

Animés d'une grande soif d'idéal, certains ne supportent plus les déterminations de leur existence et cherchent à les fuir. Les voilà désireux de tout quitter, leurs familles et leurs études, pour s'engager dans l'action humanitaire, dans la lutte écologique (...). Ils sont prêts à s'engager (...) mais ils veulent changer le monde, et c'est impossible. (...) leur illusions de pouvoir, à eux seuls, y parvenir [est un déni] de la condition humaine qui les jett[e] bientôt dans l'amertume et le découragement. Les voici dangereusement élevés au-dessus de l'humanité et ils en viennent habituellement à une grande dureté de jugement envers tous (...) Pente dangereuse, source de fanatisme! comme le dit Pascal:
«L'homme n'est ni ange, ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête.»