La passivité poussiéreuse et rouillée du jour était repliée, roulée comme un vieux décor, la foule reprenait petit à petit possession du dédale des ruelles transfigurées.
Rabatteurs, portiers, putes, gigolos, salarymen, hôtes et hôtesses, mamas-san et boss yakusas, serveurs de restaurant, gardiens et videurs, salariés des magasins ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre et des love hôtels, ils se rejoignaient, mus par un accord tacite, programmés pour se coaguler dans un plasma lumineux et mutant. Toujours le même, toujours différent, toujours avide et consciencieux.
Abondance de rires, de désirs et de détermination, ces mille voix entremêlées, celles du peuple de la nuit.
Ka-bu-ki-cho, quatre syllabes qui claquent.
Comme les socques d’un sumo sur le pavé.
Le quartier honteux, accolé à la respectable mairie de l’arrondissement de Shinjuku.
J’appris que son nom résultait d’un rêve inabouti, celui du maire de Tokyo qui, au lendemain de la guerre, envisagea d’ériger un théâtre kabuki en lieu et place du désastre issu des bombardements, et ce afin d’offrir à ses concitoyens un parc de divertissement familial.
Manque de chance.
Quelle expression avait utilisée Marie la première fois qu’ils l’avaient interrogée ? Ah oui, elle avait dit que Kate Sanders avait un jardin secret. Elle n’était donc pas la seule. Sanae aussi. Il fallait juste espérer que ce soit un beau jardin tranquille et soigné. Un jardin japonais. Pas une jungle furieuse pleine d’animaux imprévisibles et d’autres kirin agressifs.
La passivité poussiéreuse et rouillée du jour, roulée comme un vieux décor, la foule reprenait petit à petit possession du dédale des ruelles transfigurées.
Rabatteurs, portiers, putes, gigolos, salarymen, hôtes et hôtesses, mama-san et boss yakusas, serveurs de restaurant, gardiens et videurs, salariés des magasins ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre et des love hotels, ils se rejoignaient, mus par un accord tacite, programmés pour se coaguler dans un plasma lumineux et mutant. Toujours le même, toujours différent, toujours avide et consciencieux.
La liberté était froide comme un masque de plastique blanc.
La ville se replia sur sa tête. Il eut l’impression de respirer de la boue.
Le temps dissolvait la beauté et tout ce qui avait un sens et rendait heureux. L’image d’Hélène ne survivrait pas à l’acidité du temps.
Au Japon, pays de la règle et du principe, les hôtesses ne couchaient pas. Sauf celles qui couchaient. C'était compliqué, c'était simple. C'était comme ça.
Il avait trouvé Kabukicho excitant, au début. Les filles sexy, les conversations délirantes, les méthodes de séduction à raffiner chaque nuit. Le quartier des plaisirs de Tokyo était un immense terrain de jeux, et il faisait partie des bons joueurs. Grâce à ce don, déchiffrer instinctivement les femmes et leurs besoins. Il savait écouter, trouver les mots, soigner leur solitude. En peu de temps, il avait fait du Café Château un bar d’hôtes reconnu.
Cette nuit , comme toutes les autres , les clients réclamaient le soulagement , la pulvérisation de la frustration , du stress et de la solitude . Ils exigeaient qu'on donne momentanément chair à leurs envies les plus tordues . Et les pros de Kabukicho étaient déterminés à y arriver .