AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Récits avec figures (15)

Hier matin, le docteur Pereira est revenu me rendre visite. Il est arrivé d'Italie par la poste jusqu’à cette rue de Lisbonne. Ignare j'ai ouvert la grande enveloppe jaune à l’intérieur de la quelle on devinait un carton, et je l'ai découvert assis à une table du café Orquídea en train de boire sa citronnade. Lui aussi me regardait, surpris que je le regarde. Il avait dénoué sa cravate, avait posé sa veste sur la chaise et d’une des poches dépassait le Lisboa , il tenait une cuillère suspendue en l'air comme si se rendant compte que je le regardais il avait arrêté de remuer la citronnade. Il me regardait par-dessus ses lunettes rondes, semblables aux miennes, les sourcils froncés, avec l'air interrogatif de celui qui demande : « Mais qu'est-ce que vous avez à me regarder ? ».J'ai presque eu envie de lui répondre : « En fait c’est vous qui m’avez appelé, lisez bien ce qu’il y a écrit sous le portrait : A Tabucchi de la part du Dr Pereira » ; mais je n’ai rien dit, car je connaissais déjà la réponse. Il en serait découlé une dispute désormais habituelle :
« en vérité c'est vous qui m'avez appelé !
— Mais non, mais qu'est-ce que vous dites, c’est vous qui m’avez appelé !
Il en avait toujours été ainsi, avec Pereira : avant de l'écrire et tandis que j’étais sur le point de l’écrire, surtout le soir, avant de dormir, quand les paupières se baissent et que les voix interieures s’entendent mieux.
Mais à présent c'était différent, ce n'était plus une évocation, un subtil jeu pour le rendre présent, pour l'appeler ou être appelé par lui, pour parler, afin qu'il se raconte, afin qu’il prétende avec moi ce que il voulait prétendre. De l' ex-vocare , c'est-à-dire de l'appeler dehors avec la voix, on était passés au con-vocare . Quelqu'un avait convoqué le fantôme en le matérialisant dans une image. Et maintenant l'icône de Pereira était sous mes yeux, massive, visible dans toute sa « pereireité ». Et le médium qui avait obtenu cette convocation était Giancarlo Vitali.
« Pour le moment mettez-vous là, lui dis-je en pensée, demain je vous trouverai un meilleur endroit, ensuite nous aurons tout le temps de parler de notre diatribe. En tout cas, je vous remercie d'être venu chez moi, j'étais toujours venu chez vous et je ne vous avais jamais invité».
Lisbonne, octobre 1997
Commenter  J’apprécie          203
Les héritiers remercient

Je lègue à mes amis
un bleu céruléum pour voler haut
un bleu de cobalt pour le bonheur
un bleu d'outremer pour stimuler l'esprit
un vermillon pour faire circuler le sang allègrement
un vert mousse pour apaiser les nerfs
un jaune d'or : richesse
un violet de cobalt pour la rêverie
une garance qui fait entendre le violoncelle
un jaune baryte: science-fiction, brillance, éclat
un ocre jaune pour accepter la terre
un vert Véronèse pour la mémoire du printemps
un indigo pour pouvoir accorder l'esprit à l'orage
un orange pour exercer la vue d'un citronnier au loin
un jaune citron pour la grâce
un blanc pur : pureté
terre de Sienne naturelle: la transmutation de l'or
un noir somptueux pour voir Titien
une terre d'ombre naturelle pour mieux accepter la mélancolie noire
une terre de Sienne brûlée pour le sentiment de durée

Maria Helena Vieira da silva, Testament (p. 147)
Commenter  J’apprécie          170
Une fenêtre sur l'inconnu

Pourquoi était-il allé habiter là ? Il ne le savait pas. Ou plutôt, il le savait. A cause d'un paysage qui allait lui faire abandonner l'inquiétude: grands espace, campagnes, silences, les maisons d'autrefois, quand les maisons étaient des maisons, et que dedans, avec les personnes, il y avait les harnais, les outils, tout ce qui servait à la vie de tous les jours et qui se passait là autour, près des maisons où on était. (p. 67)
Commenter  J’apprécie          120
Epices, dentelles, voyages lointains

[A propos de Piero Pizzi Cannella ]

Regarder un tableau peut conduire loin. Et il est juste qu'il en soit ainsi, car là est la beauté de l'art: nous faire naviguer à notre meilleur gré. Et si cette navigation pourra ne sembler qu'un jeu à certains, ce ne sera certainement ton cas, Pizzi Cannella, car tu sais comme moi et mieux que moi à quel point l'art se fait aussi "par jeu". Mais un jeu sérieux. Or donc, un peu par jeu, un peu pour ne pas mourir.

Ton admirateur Antonio Tabucci
(p. 226)
Commenter  J’apprécie          110
« Les héritiers remercient

8. Laque de Garance

- Si je pense à elles, [Maria Helena Vieira da Silva , Wislawa Szymborska et Sophia de Mello Breyner ] c'est la garance qui me vient en tête. Et vous qui semblez si connaisseur en couleurs, vous n'ignorez pas que la garance n'est pas une couleur matérielle, c'est une laque. A l'état naturel elle va du rose au carmin, mais quand on l'étend sur une toile elle devient transparente et sert à faire briller toutes les autres couleurs, à les rendre resplendissantes et magiques comme si elles étaient inondées de lumière, voilà pourquoi Van Gogh l'utilisait autant quand il voulait capter la lumière de la Provence. La laque de garance est aérienne et volatile, chers messieurs, elle donne de la brillance à des couleurs qui sans cela seraient fades: c'est comme si vous preniez des lunettes colorées par une grise journée d'automne. Maria Helena [Vieira da Silva ] Wislawa [Szymborska ] et Sophia [de Mello Breyner ] sont ma laque de garance, et si je regarde le monde par leurs yeux, j'entends une musique de violoncelle. (p. 154)
Commenter  J’apprécie          40
Géographies

[A propos de l'artiste, Jalal Raouf ]

Et le voyage est vraiment inscrit dans la vie de ce peintre kurde qui, une fois abandonnée l'école des Beaux-Arts de Bagdad pour ne pas avoir à substituer le drapeau irakien au drapeau français sur une copie de Delacroix, s'est formé à l'académie des Beaux-Arts de Florence, a grandi artistiquement à Strasbourg et à Paris et a fini par atterrir, pour des étapes provisoires à un point qu'on ne sait pas, entre les montagnes tessinoises puis en Ombrie, où il peint ses tableaux imbibés de cultures visitées et de cultures vécues. (...)
Commenter  J’apprécie          30
Portraits de Stevenson

Il avait ses raisons: il naquit et grandit à Edimbourg, ville de brouillards et de granits. Il était malade des poumons, passa son adolescence à l'hôpital en s'échappant du lit pour ouvrir les fenêtres, il avait besoin d'oxygène dans dans son corps et dans son esprit. Et il réussit à le trouver. Il fit de vrais voyages, traversa des pays entiers à dos d'âne, s'embarqua sur des bateaux à vapeur pour les Amériques des émigrants. mais surtout il traversa le temps et l'espace en confiant au vent les voiles de l'imagination. Puis, dans les dernières années de sa vie, il choisit une vraie île du Sud, et pour mourir il porta son choix sur le cône d'un volcan où le transportèrent en civière ses amis indigènes, afin qu'il respire mieux pour toujours, en étant là-haut en altitude. (p. 210)
Commenter  J’apprécie          30
Cafés parisiens

[A propos de l'artiste Vincenzo Nisivoccia ]

De cette humanité encore si vive, non homologuée, expressive (...) Vincenzo Nisivoccia s'est fait l'interprète figuratif. Le trait du dessin est essentiel, d'une extrême sobriété, parfois seule une partie du visage apparaît, comme si l'autre partie n'avait pas d'importance parce que l'essentiel a déjà été attrapé. Et l'essentiel c'est le caractère. En regardant ces visages on croit lire -Les Caractères- de La Bruyère: le vieux mélancolique, la dame un peu flétrie, mais encore pleine d'espérances, le poète, le penseur, le vagabond, l'oisif, le bellâtre, le philosophe à temps perdu. Mais comme ils sont vrais, et vivants, et comme cela nous réjouit de les regarder, comme cela nous fait éprouver que le monde est encore humain et non pas constitué uniquement d'automates qui obéissent aux lois des masses.
Je me demande si l'auteur de ces portraits, en plus d'être un dessinateur, ne peut pas être qualifié d'anthropologue ou de psychanalyste. Je pense qu'il est les trois à la fois, comme le sont les artistes, qui ont le privilège de nous servir de miroir pour nous renvoyer notre propre image. (p. 253)
Commenter  J’apprécie          20
Journal crétois avec sinopie

(...) Sur la table j'avais posé ton livre, -L'Atelier d'Adami-. Il m'a semblé qu'il le regardait avec curiosité et je l'ai invité à venir s'asseoir.
Est née une conversation essentielle faite de gestes et de ces rares mots de qui comme moi a appris seulement quelques expressions grecques dans le petit manuel de voyageur. J'essaie de la rendre intelligible.
-C'est qui ce livre ?
-C'est un peintre italien
-Un ami à toi ?
-Oui
-Moi aussi je suis peintre, je m'appelle Manolis (...)
-Et qu'est-ce que tu peins ?
- A la chaux
-A la chaux quoi ?
-Tout. Les maisons et tout.
-Uniquement à la chaux ?
-Non, aussi du bleu.
-Seulement à la chaux et le bleu ?
-Les bleus sont nombreux, il n'y a pas qu'un bleu.
Puis il a dit une phrase que je n'ai pas comprise, et je lui ai demandé de l'écrire. Je n'en suis pas sûr, mais je crois que le sens est celui-ci: " Les choses naissent moches, c'est pour ça qu'il faut les peindre" (p. 244)
Commenter  J’apprécie          20
Meilleures salutations

"Et qu'est-ce que tu penses faire, après ?"
"Après quand ,"
"Quand tu seras grand."
Le jeune garçon réfléchit un instant. Ses yeux étaient très vifs, on voyait que son imagination était au travail. "Je ferai beaucoup de voyages", dit-il. "J'irai dans toutes les parties du monde et j'y exercerai beaucoup de métiers, une chose ici, une chose là, toujours en mouvement." (p. 23)
Commenter  J’apprécie          20






    Lecteurs (14) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Que peut-on ambitionner, désirer, prétendre, rêver, souhaiter, viser, vouloir avec Pereira ?

    Qui est Pereira ?

    Un détective privé
    Un policier corrompu
    Un journaliste
    Un membre de la milice
    Il est tout cela à la fois

    20 questions
    15 lecteurs ont répondu
    Thème : Pereira prétend de Antonio TabucchiCréer un quiz sur ce livre

    {* *}