« Pourquoi est-ce que je laisserais d’autres gens le punir ? » (p. 162)
« C’était la plus grande obsession d’Harriet, et celle qui engendrait toutes les autres. Car ce qu’elle voulait […], c’était ramener son frère auprès d’elle. Et ensuite découvrir qui l’avait tué. » (p. 55)
....Et je suppose que la loi pense pareil, parce qu'ils puniront jamais les types qui ont fait ça.
- Ils le doivent.
- Qui ça?
- La loi. C'est à ça qu'elle sert.
- Y a une loi pour les faibles et une loi pour les forts."
- Je dis pas qu'il y a pas de méchants Noirs. Il y des mauvais Noirs et il y a des mauvais Blancs ... Moi tout ce que je sais, c'est que j'ai pas de temps à perdre avec ces Odum, ni avec des gens qui pensent toujours à ce qu'ils ont pas , et comment ils vont le faucher aux autres. Oui , Mamzelle . Si je le gagne pas, déclara sombrement Ida, levant une main humide, et que je l'ai pas, alors j'en veux pas . Non, M'dame. Sûrement pas. Je passe mon chemin.
- Le point noir , ça vient de l'Ile aux trésor , dit Harriet. C'est ce que les pirates te donnaient quand ils voulaient te tuer, un morceau de papier avec un point noir dessus.
"C'était quoi, ce bruit ?"
Silence. Aussitôtl es cent cinquante watts de l'ampoule du plafond se déversèrent sur Hely horrifié. Epouvanté, ébloui par la clarté blafarde, il se recroquevilla contre le panneau miteux, et eut à peine le temps de cligner des yeux qu'un juron retentit et que la pièce redevint obscure.
Avec dégoût,elle songea combien la vie avait éprouvé les adultes qu'elle connaissait, tous sans exception.
Hely - comme Pemberton avant lui - se vantait d'être si pénible que leur mère ne pouvait garder une bonne plus d'une année ou deux ; Pem et lui en avaient connu près d'une douzaine. Pour Hely, que ce fut Roberta, Ramona, Shirley, Ruby ou Essie Lee qui regardait la télévision quand il rentrait de l'école, ça revenait au même. Mais Ida était le pilier de l'univers d'Harriet : ronchon, bien-aimée, irremplaçable, avec ses mains larges, généreuses, ses grands yeux humides, globuleux, son sourire, le premier qui eût illuminé son existence. Harriet se tourmentait de voir avec quelle légèreté sa mère traitait parfois Ida, comme si elle ne faisait que traverser leurs vies, sans y être fondamentalement impliquée.
La chaussée était encore luisante après l'orage de l'après-midi; au-dessus, la lune brillait par une trouée irrégulière au milieu des cumulus, et leurs bords houleux étaient baignés d'une clarté blanche, splendide. Au-delà - à travers la déchirure du ciel - tout était limpide : les étoiles glacées, l'infini. Harriet avait l'impression de regarder une mare transparente, superficielle en apparence, de quelques centimètres à peine, mais si on y jetait une pièce de monnaie elle s'en finirait plus de tomber, tournant en spirale sans jamais toucher le fond.
Hely scruta la route, les yeux plissés. Un véhicule scintillait au loin, dans un nuage de poussière et de vapeurs d'essence. Il roulait si lentement qu'il ne pouvait s'agir de la Trans Am, mais à l'instant où Hely s'apprêtait à en faire la remarque, un rayon de soleil effleura le capot, qui renvoya un reflet métallique, couleur de bronze. Dans le mirage de chaleur apparut la calandre grimaçante à face de requin, reconnaissable entre toutes.
Il se cacha derrière le mur (les Ratliff étaient armés ; il venait juste de s'en souvenir) et s'approcha en rampant pour aider Harriet. Ensemble, ils penchèrent la caisse sur le côté, la grille face à la route. Lors de la première fausse alerte, ils étaient restés pétrifiés au moment de tendre la main à tâtons pour tirer le verrou, puis s'étaient précipités avec des gestes incohérents pendant que la voiture filait sous la passerelle ; à présent, la clenche était soulevé, ils avaient un bâtonnet d'esquimau tout prêt de façon à pousser le verrou sans le toucher.
Hely jeta un regard derrière lui. La Trans Am roulait dans leur direction - à une lenteur troublante. - Il nous a vu ; c'est sûr. - Mais le véhicule ne s'arrêta pas. Nerveusement, Hely fixa la caisse, qu'ils maintenaient en équilibre au-dessus de leurs têtes.
Harriet, respirant comme si elle avait une crise d'asthme, lança un coup d'oeil derrière son épaule. "Ok, dit-elle, on y va, une, deux..."
La voiture disparut sous le pont ; elle tira la clenche d'un coup sec ; comme un film au ralenti, ils inclinèrent la caisse, unissant leur effort. Tandis que le cobra glissait et remuait, agitant sa queue pour tenter de se redresser, plusieurs pensées traversèrent l'esprit de Hely : avant tout, comment allaient-il s'enfuir. Pourraient-ils le semer ? Il allait certainement s'arrêter - n'importe quel imbécile, surpris par un cobra tombant du ciel dans sa voiture, ne manquerait pas de le faire - et s'élancerait à leur poursuite...