Dire la fin de l’histoire c’est revenir aux ténèbres.
Lorsque tes dents déchirent la peau et libèrent le nectar, c’est comme une jouissance enfantine, un plaisir suprême et gratuit, quelque chose qui ne pourrait jamais te lasser. Tu es seul dans une sphère exquise, et l’unique pensée qui puisse t’effleurer, c’est que le meurtre est la chose la plus divine du monde, et que tu détruirais l’humanité entière pour prolonger cette extase.
L’océan est une immense porte, grande ouverte. Il est offert, il ne refuse rien. Peut être parce qu’il sait qu’on n’atteindra jamais son coeur.
Je n’apprendrai rien à personne en disant que les mots sont trop faibles ; qu’ils rendent bien pauvrement les vertiges des sens et les cimes de la beauté. Allons ; peut-être que je les juge trop durement : on n’invente des mots que pour ce qu’on a vu. Que pour ce qu’on a conçu.
L’homme a vu les étoiles, le fond des mers, les neiges en haut du monde. Il a même conçu Dieu, les temples inspirés par Sa grandeur, les royaumes noirs des démons qui ont renié Son Éternité. Il y a des mots pour tout cela. Ils sont peut-être un peu éteints, mais ils savent vibrer parfois, et laminer mon coeur, lorsqu’ils dessinent les visions insensées de ce que l’homme a fantasmé.
Aphelion, te voir, c’est ne plus savoir si dans la mort enfin on oubliera ton parfum de fleur tombale, la blancheur de ton torse décharné, ta peau froide et lumineuse qui te rend nuageux au milieu des ténèbres ; ces fumerolles noires, celles de ton infinie chevelure, et tes longs doigts de nacre, et tes mamelons cyanosés comme deux saphirs très pâles et très froids. Pourquoi, ne plus savoir ? Je croyais oublier ton visage chaque fois que je cillais, et chaque fois c’était la même terreur, la même excitation, le même éblouissement. J’avais la sensation que tu me respirais ; que tu respirais tout ce qui t’entourait. Si aujourd’hui je m’adresse à toi, c’est pour tenter de te donner corps et âme, pour m’assurer que je t’ai vu un jour, pour imprimer dans ma mémoire ton effroyable splendeur. Mais as-tu corps et âme ? Ne plus savoir si dans la mort on oubliera tes moires éternelles, c’est ne plus savoir si l’on vit, si l’on meurt, ou si l’on est déjà mort ; ne plus croire au néant si l’on croyait au néant, au paradis si l’on croyait au paradis, à la métempsycose si l’on croyait à la métempsycose, à des cycles de lumière, à des rivières de vie, à des résidus d’âmes qui s’assemblent pour construire un au-delà. Alors comment savoir si dans la mort on t’oubliera, quand la mort et la vie n’existent plus ? Quand tu restes le seul dans l’univers ?
Alors c’est toi, le silence éternel des espaces infinis ? Oui, tu m’effraies.
Chaque fois que j'ai essayé de percevoir dans le réel ce que mon esprit avait conçu lorsque je lisais, c'était tellement décevant. Tellement terne. Tellement limité. Jamais de magie. Ce que je vivais, toujours en-dessous de ce que j'imaginais.Condamné à ça pour toujours. Parce que mourir, ça aurait été ça.Retrouver la magie qu'il y a dans le cœur.
Cela me ressemblait tellement, au fond - être acculé, ne plus avoir aucun moyen de se sauver, alors choisir de respirer l'air qui reste, d'en aimer les moindres nuances, se perdre en lui comme dans un labyrinthe sans fin, oublier le temps, et ne se souvenir plus que de cela, qu'il y a une éternité entre deux secondes.
"Je fis quelques pas, charmé pas les cascades de lierre qui coulaient sur les murs, et dont les limbes gelés semblaient souffler des brillances plus froides dans la lumière mauve".