J'étais né pour contempler, plus que tout autre chose.
Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi les beautés les plus ténébreuses étaient pour moi les plus attirantes. Peut-être le goût du mystère, du voile et de la profondeur. L'obscurité protège de la vérité. De tout ce qu'on ne veut pas savoir. Elle est folle et imprévisible, mais secrète, silencieuse; belle comme une mer de diamants noirs.
C'est l'art qui m'avait fait comprendre que j'avais besoin d'autre chose, et qui m'avait mis sur le chemin de la Sylve. C'est l'art qui avait édifié mes rêves et qui m'avait donné la force de croire que la magie existait. Au lieu de me rendre triste, au lieu de me faire éprouver mortellement la distance entre un réel et un existence enchantée, il m'avait, lui seul, ému aux larmes, confié le secret qu'un ailleurs m'attendait.
Au premier pas vous auriez su qu'ici le jour n'existait pas. Peut-être parce que le soleil ne pouvait atteindre l'écrin secret de la Sylve, ou parce que le voile enchanté des feuillages ne laissait passer des rayons du jour que ce qu'ils avaient de lunaire au plus profond de leur clarté. Au premier pas vous auriez distingué, dans l'impénétrable silence qui perçait le chœur murmurant des branches, un autre chœur, celui des existences inconnues qui se nichaient dans les bosquets et les grottes, dans les clairières et les cataractes.
"Mon ombre. Ma pauvre ombre. Depuis le coucher du soleil, elle saigne. Et ça ne s'arrêtera plus. Mais d'où vient-il tout ce sang? De nulle part, sans doute. Des eaux noires d'une malédiction."
Devenir immortel, est-ce une inévitable condamnation au désespoir? Ou n'est-ce que notre immortalité, celle qui émane de moi et que j'ai inoculé à mes Vermines, qui détient l'abject pouvoir de détruire notre âme?
Au fil de ma flânerie, au hasard de chemins qui n'en étaient pas, je vis des fleurs énormes ou minuscules qui brillaient doucement dans l'ombre, comme des vers luisants; des étincelles que les feuilles tombantes emportaient dans leur chute; des ruisseaux plus effilés que des serpents, caressés par les lueurs opalines d'un astre singulier. Des couleurs précieuses et voilées, des bleu nuit, des nacres vaporeuses, des abyssines et des fuligineuses, tissaient un lien charnel avec la chevelure cinabrine de la Sylve, offrant un nouveau sens à ce mot, féerie, que je croyais si bien connaître.
Qu'importait s'il prétendait que la magie n'existait pas, alors qu'il était magicien ; qu'importait s'il souffrait les barrières de la réalité alors qu'un simple regard sur lui ne m'évoquait rien d'autre que l'infini des choses. Je ne pouvais pas comprendre.
Qu'est-ce qui te transperce pendant que tu me regardes ? Ce n'est pas de la lumière ; c'est une illusion, la lumière. On la croit vive, et pure, mais derrière elle il n'y a que des ténèbres.
« Curieusement, je pus contempler son reflet sans souffrir d’étourdissement. Il avait la beauté d’une oréade morte ; quelque chose en lui me glaçait. Était-ce la luisance vénéneuse dans ses yeux effilés, ou le rouge sang de ses lèvres minuscules, ou les fuseaux de ses pommettes aiguilleuses ? Tout cela à la fois. Son visage comme une harmonie d’épines. » (p. 61)
Je crois qu’une belle histoire se termine toujours par une image plus belle que les autres.