Meubles, selon le Code noir. Cheptel, selon le régisseur. Esclaves à merci selon le maître.
Il s'agit de donner à cette histoire toute sa profondeur et toute sa densité.
Par exemple, lorsque vous apprenez les épopées de Napoléon Bonaparte, empereur des Français, on doit aussi vous enseigner qu'il a rétablit l'esclavage dans les colonies françaises pour satisfaire les revendications des planteurs. Lorsque vous apprenez les fastes de Louis XIV, le Roi-Soleil, à Versailles, on doit vous enseigner qu'il a promulguer le Code noir qui déclarait les esclaves "bien meubles" et autorisait les maîtres à infliger des sévices corporels à leurs esclaves, la loi prévoyant par ailleurs la torture, la mutilation, l'exécution des esclaves qui choisissaient le marronnage pour rompre avec l'enfer des plantations. Lorsque vous apprenez l'oeuvre de Colbert, grand économiste et fondateur de l'Académie des sciences, on doit vous enseigner que c'est lui qui a commandité le Code noir, qu'il a énoncé un interdit industriel absolu pour éviter que la concurrence de l'économie coloniale ne vienne fragiliser les manufactures d'État qu'il avait créées. (...)
On doit aussi vous expliquer que le même Colbert a inspiré la Charte de l'Exclusif colonial issue de l'édit de Fontainebleau, qui interdisait aux colonies tout commerce hors des échanges avec la métropole. Lorsque vous apprenez la Révolution française, on doit vous enseigner qu'elle n'a pas osé abolir l'esclavage et que c'est seulement la Convention qui l'a fait, cinq ans plus tard, avant son rétablissement par Napoléon huit ans après.
La France, qui fut esclavagiste avant d’être abolitionniste, patrie des droits de l’homme ternie par les ombres et les « misères des Lumières », redonnera éclat et grandeur à son prestige aux yeux du monde en s’inclinant la première devant la mémoire des victimes de ce crime orphelin.
[Aux États-Unis] le premier mineur exécuté par jugement avait 14 ans. Africain américain, il s’appelait George Junius Stinney. Il commit l’erreur de signaler à la police les cadavres de deux fillettes violées en Caroline du Sud. On l’accusa des viols. Son procès, avec jury et avocats blancs, a duré deux heures ; la délibération, dix minutes ! Trop petit pour la chaise électrique, il dut être assis sur une bible. C’était en 1944. Il fut réhabilité 70 ans plus tard. Innocent !
Une histoire de violence et de beauté.
Il se peut que la beauté l'emporte.
Et si l'on commençait par...
Supprimer de l'article 1er de la Constitution française le mot "race".
Je suis d'Afrique et des Amériques, d'Asie et d'Europe. J'assume mes multiples ascendances comme autant de racines irriguant mon identité et mes dispositions à l'altérité. Je contiens le monde et le monde me porte. Même si, effrayé de tant de reflets, ce monde fait choix parfois de me croire invisible.
Lorsqu'on pense que tous les hommes sont égaux, on ne s'accommode sous aucun prétexte d'actes qui mettent en péril cette conviction en infligeant ou en laissant infliger à une catégorie d'hommes ce que l'on trouve inacceptable pour d'autres et pour soi.
Les trois grands continents réputés sous-développés, l'Afrique, l'Asie, l'Amérique du Sud, ont fait éclore des civilisations prestigieuses qui, pour la plupart, ont été détruites au contact des Européens lors des conquêtes coloniales.
Je pense sincèrement que c'est un choix éthique, un acte de résistance sain et salutaire que de refuser de s'égarer dans l'explication d'actes monstrueux. On peut explorer les mécanismes qui y conduisent, pour renforcer la vigilance. Mais surtout, surtout ne pas risquer, par des interprétations captieuses, de laisser s'infiltrer dans l'humain ce qui, absolument, est inhumain.