[...] Sa narcolepsie avait le potentiel de provoquer des hallucinations, c’était son explication pour repousser les fantômes, mais il savait qu’il ne pouvait faire de même avec l’homme du ferry. Il était mort et Beam l’avait tué et c’était l’abrupte vérité.
[...] Tu es jeune, ça ce voit. Un type de ton âge, il croit que le monde va se briser s’il tape assez fort. Il croit qu’il peut tenir tête, mais c’est pas comme ça que ça marche.
[...] On ne pouvait pas revenir d’avoir tué un homme.
[...] Tu dois quitter cet endroit, et tu dois partir ce soir.
[...] Beam savait que seules les zones d’ombre étaient passées sous silence. Les bons moments et les jours heureux étaient racontés si souvent que les histoires en devenaient rabâchées et inutiles. Mais les mauvais moments demeuraient non-dits, comme si leur simple évocation risquait de faire remonter les vieilles afflictions à la surface.
[...] Beam ne se considérait pas comme un enfant. Il avait dix-neuf ans, de la niaque à revendre et une bonne dose de malveillance tapie en lui, le genre de jeune qui montre les dents devant les vitrines, les miroirs de salle de bains, les enjoliveurs et l’argenterie volée, tout ce qui a le culot de lui faire voir sa tronche.
[...] — Tu aimes les cimetières ? demanda Pete. Beam se réveilla en grognant, surpris.
— J’peux pas dire que j’y pense trop souvent.
— On peut savoir un paquet de choses sur un bout de terrain en regardant ceux qu’on y a enterrés. Qui était à la guerre, quand et où ils ont combattu. On peut savoir si un hiver était rude au nombre de bébés et de femmes enterrés une année donnée. Tout ça, c’est sur ces pierres. (Pete agita la main dans la lumière du feu.) Le grand verger de marbre. Voilà tout ce que c’est.
Daryl s’affala dans son fauteuil.
— Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre, déclara-t-il.
Un vieux chemin la conduisit à l’endroit qu’elle cherchait. Elle avait d’abord pensé ne pas retrouver la route, mais tout lui était ensuite revenu : remonter depuis les étendues de terreau vers un chapelet de collines bulbeuses et leurs senteurs capiteuses dans le petit matin, dépasser les granges en ruine et les mobile-homes affalés dans les joncs, les grillages affaissés et tordus par les vents, puis descendre vers la scierie où les tas de sciure se dressaient tels du suif fondu sur le sol noir et boueux, les hommes partant travailler dans le tremblement vaporeux de la lumière, quelques uns levant la main à son intention quand elle passa devant eux.
-Tu aimes les cimetières ? demanda Pete.
Beam se réveilla en grognant, surpris.
- J’peux pas dire que j’y pense trop souvent.
- On peut savoir un paquet de choses sur un bout de terrain en regardant ceux qu’on y a enterrés. Qui était à la guerre, quand et où ils ont combattu. On peut savoir si un hiver était rude au nombre de bébés et de femmes enterrés une année donnée. Tout ça, c’est sur ces pierres. (Pete agita la main dans la lumière du feu.) Le grand verger de marbre. Voilà tout ce que c’est.
- De quoi vous parlez ?
- De l’histoire avec un grand H. (Pete tapota le sol {ils campent dans un cimetière}.) Juste en dessous de nous, c’est l’histoire.