Salut, Jean,
Je suis sorti de l'hôpital où je suis resté longtemps. J'ai une grosse cicatrice, c'est terrible, on dirait que j'ai fait la guerre.
On m'a mis au foyer de Guéret, dans la Creuse (comme "creuse ta tombe", c'est ce que dit un copain de chambre qui est là depuis longtemps). (...)
Le peuplement de la Réunion, déserte jusqu'en 1663, résulte de migrations volontaires ou forcées dues à la colonisation et à l'esclavage. Il est lié aux monocultures d'exportation : le café en 1715, puis la canne à sucre à partir de 1815. Besoin de bras en cas d'essor économique, peur du surpeuplement en cas de crise ; telle fut la vue à court terme des élites depuis le XVIIIe siècle.
L'avion, une caravelle, etait rempli d'enfants de tous les âges se trouvant dans la même situation que nous. Je pris place près du hublot, à côté de mon "frère" qui ne m'a pas lâché la main du voyage. C'était le silence. La peur. Aucun de nous ne reagissait, n'essayant de s'enfuir, de se manisfester. Nous ressemblions à nos ancêtres les esclaves : souffrir sans rien dire, encaisser le malheur sans réagir, garder le silence. Et personne ne savait pourquoi il se trouvait là.
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- Le piment, ça ne se mange jamais seul. Il faut du riz ! Vous êtes zoreil ?
- Ma famille est d'ici. Mais d'ailleurs vous pouvez m'aider à retrouver leur adresse ? Il paraît que vous connaissez très bien la commune...
- Ah ça oui ! Je suis le dernier monument historique communal ! Ce 'chemin Gourouvin' s'appelle maintenant 'rue Picasso'. Pourquoi un nom de voiture ? Mystère.
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Le "Chemin Gourouvin" s'appelle maintenant "rue Picasso". Pourquoi un nom de voiture ? Mystère.
- Une colonie ? C'est quoi, Mme Annie ?
- Ne t'inquiète pas Jean. C'est un endroit où on prendra soin de toi. Et puis tu vas apprendre un métier et revenir chez toi pour les grandes vacances.
- Mais ?! La colonie de vacances, l'est pas pendant les vacances, alors ?
- Monsieur Lucien, vous avez une lettre de métropole. Ça vient du Gers, on dirait. Vous avez de la famille là-bas?
- ?
- Une femme et des enfants, peut-être?
- Heu, non... Pas que je sache.
Inquiète pas ! Quand vos' bouche sera habituée au créole, elle le sera aussi pour le piment.
En éloignant ces enfants de leur famille on les sauve et on sauve aussi parfois leur fratrie.
Comment ça ?
Eh bien quand on retire deux enfants d'une fratrie de neuf, les autres vivent un peu mieux, non ?
Ne t'inquiètes pas Jean. C'est un endroit où on prendra soin de toi. Et puis tu vas apprendre un métier et revenir chez toi pour les grandes vacances.