Voilà un roman dont on doit se souvenir ! D'abord par l'objet : gros livre de plus de 600 pages, à la couverture cartonnée beige, ornée en première de couverture d'un énigmatique dessin représentant deux hommes absolument identiques qui luttent, la cravate nouée autour d'un cou absent, les deux têtes absentes, un vide angoissant. Et en quatrième, une enfilade de mots en capitales, difficiles à lire, à déchiffrer, à comprendre, c'est voulu et c'est excellent !
Car le livre aussi, va nous plonger dans des abimes d'incompréhension. Jugez-en plutôt :
Qui est cet homme ventripotent, qui s'enfile des litres d'alcool sans jamais être ivre mais joue à le paraître, qui ne peut vivre aucun moment de relation vraie avec personne, même pas son fils ? A ce point que, terrifié à l'idée de devoir passer un moment avec lui, ...il invite une escorte ! Qui est ce Saul
Karoo, écrivain à la petite semaine qui, quoique haïssant son odieux employeur de producteur, ne parvient jamais à lui dire son fait et continue à le pourvoir en scenarii retouchés, réécrits par lui pour que tombe la manne dollar, fût-ce au prix de ne sortir que des navets commerciaux ?
Il a épousé une femme dont il ne parcvient pas à divorcer depuis des années, ils ont ensemble adopté un petit Billy, enfant d'une gamine de quatorze ans dont il a un jour entendu le rire, reconnaissable entre tous.
Et, paradoxalement, au milieu de toute cette médiocrité, c'est précisément le rire qui va déclencher un enchaînement d'événements ahurissants.
L'auteur se joue de nous : à chaque fois qu'on croit que l'action va s'orienter vers telle ou telle direction, qu'on croit savoir ce qui se passe, il nous trouve un événement qui chamboulera tout, une excursion en Espagne, un accident, une amnésie. Et non ! On repart dans une autre direction, jusqu'au dernier chapitre, qui nous embarque dans un voyage fantasmagorique, entre
Homère et l'Ancien Testament, dans une vision totalement imprévisible.
Ce qui sous-tend l'ensemble de l'histoire, comment un médiocre peut se croire un moment une sorte de deus ex machina et changer la vie des autres, n'a rien de réjouissant. m ais le ton, le style ciselé à la perfection et, probablement la qualité de la traduction, font de ce roman un petit bijou de cynisme, d'ironie et une critique acerbe du milieu du cinéma, entre vrais escrocs et faux talents.
Un régal !