1275 âmes / Pottsville, 1280 habitants

Je lui réponds que sur ce plan-là, il a sacrément raison, à cent pour cent. La seule personne que j'aime, c'est moi, et je suis prêt à faire tout ce qu'il faudra pour continuer à mentir, à duper les gens, à être infidèle en amour, à boire du whiskey, à copuler, et à aller à l'église le dimanche avec tous les autres citoyens respectables.

Mais voilà comment il était, mon père -semblable à ces gens-là. Ils achètent un livre quelconque écrit par un type qui n’en sait pas plus long qu’eux sur quoi que ce soit (sinon, il n’aurait pas eu besoin de pondre un bouquin), et sa lecture est censée leur donner toutes les solutions. Ou bien s’ils s’achètent une boîte de pilules. Ou ils disent que ce sont les autres qui créent tous les problèmes, et que la seule chose à faire, c’est de se débarrasser d’eux.

Toute ma vie, j’ai couru la gueuse, sans me soucier du fait que ce qui a un cul à une extrémité a des dents à l’autre bout, et à présent, c’était mon tour d’être mordu.

Tu as de l’instruction, Nick. Pourquoi t’exprimes-tu comme un ignare ? Par habitude, je crois. C’est une sorte d’ornière au fond de laquelle je suis tombé. La langue et la syntaxe, il me semble, c’est comme beaucoup d’autres choses. Un type qui s’en sert pas – qui voit pas autour de lui des gens qui exigent l’une et l’autre – il a tôt fait d’en perdre le réflexe. Pour lui, ce qui est correct et ce qui l’est pas, ça devient interchangeable.

Des gens qui cherchent des réponses faciles aux grands problèmes. Des gens qui tiennent les juifs ou les Noirs pour responsables de toutes les calamités qui leur tombent sur la tête. Des gens incapables de comprendre qu’un nombre incroyable de choses vont forcément mal tourner dans un monde aussi vaste que la nôtre.

Je ne sais pas à quoi ressemble la mort, mais Tom n'a pas dû la trouver à son goût. Tout bien considéré, on peut dire qu'il n'est pas beau à voir. Il n'aurait aucune chance dans un concours de beauté. En lui rectifiant le portrait, la Faucheuse a redonné à Tom Hauck ses vraies couleurs, et le résultat n'a rien de flatteur.

J’ai l’impression que le destin me gardait une chienne de son chien, comme on dit. Toute ma vie, j’ai couru la gueuse, sans me soucier du fait que ce qui a un cul à une extrémité a des dents à l’autre bout, et à présent, c’était mon tour d’être mordu.

Eh ben, mes enfants, je devrais l’avoir belle. Être peinard,
ce qui s’appelle. Tel que vous me voyez, je suis le shérif en chef du canton de Potts, et je me fais pas loin de deux mille dollars par an – sans compter les petits à-côtés. En plus, je suis logé à l’œil au premier étage de l’immeuble du tribunal, et il faudrait être bougrement difficile pour pas se
contenter de ça : il y a même une salle de bains, ce qui fait que j’ai pas à me laver dans une lessiveuse ni à patauger jusqu’au fond du jardin pour aller aux cabinets, ce qui est le cas de la plupart des habitants de ce pays. Moi,
mon paradis, je peux dire que je l’ai sur terre. Un vrai filon, que je tiens là, et pourquoi je continuerais pas à faire ma pelote, du moment que je m’occupe de mes oignons et que je prends bien garde de n’arrêter personne, à moins que je puisse pas faire autrement – et encore, à condition que ça ne mène pas loin !

George me serre la main, m’adresse un sourire façon cul d’abeille.

Quoi qu’il en soit, j’allais bientôt devenir le prochain décoré de l’ordre de la cravate de chanvre, et puis Myra s’est décidée à prendre la parole, promenant sur ses voisins un regard baigné de larmes.